En
zone 3, Wilaya IV
L'étape
suivante nous conduisit en zone 3, wilaya 4. Nous nous rendîmes au PC
de cette zone où nous rencontrâmes une foule de cadres. Une réunion périodique
de la dite zone avait regroupé, en plus des membres du conseil zonal,
le capitaine Mohamed (Djilali Bounâama), le lieutenant politique,
Moussa Charif, le lieutenant militaire Laid et le lieutenant RL
(renseignements et liaisons) Mokhtar (Yazid Benaîssa), les quatre chefs
de région: le sous-lieutenant Khaled, PM (chef politco-militaire) de
l'Ouarsenis, le sous-lieutenant Rachid Bouchouchi, PM de Theniet El Had,
le sous-lieutenant Ah Azzi,
PM de Miliana, le
sous lieutenant Lakhdar Bouchama, PM de Ténès, et des cadres sectoraux.
La reunion avait été rehaussée par la présence d'un membre du conseil de la Wilaya IV, le
commandant RL Tayeb (Omar Oussedik).
Nous
apprîmes, au cours de cette halte, que le colonel Sadek, Dehiles
Sîlmane,
n'était pas rentré et qu'en dépit des assurances qui nous avaient été
données par Boussouf, membre du CCE, la wilaya VI avait pratiquement
cessé d'être: la partie Nord de cette wilaya avait été transformée
en zone 4 rattachée à la
wilaya 4; Tayeb Djeghlali qui avait assumé l'intérim de la wilaya VI
après la mort du Colonel Ah Mellah, était parti en direction de l'Est
(Tunisie).
Ainsi
se trouvait achevée notre mission. N'ayant plus de wilaya, devenant
officiers sans armée, par la force des choses, nous étions intégrés
à la wilaya IV. A celle-ci, revenait, par là-même, le droit de
disposer du matériel que nous avions ramené. Celui-ci avait été pris
en charge par la wilaya IV à partir de la zone 3; nous en étions
soulagés et n'avions plus de contraintes. Nous devions seulement nous
rendre au PC de la wilaya IV, qui se trouvait à l'époque dans la région
de Médéa, pour y rencontrer le colonel Bougara. Comme cela n'avait
rien d’urgent, nous nous sommes permis quelques jours de repos auprès
des frères de la zone 3.
A
partir de l’Ouarsenis jusqu’à la région de Médéa, le maquis était
à cette époque une zone interdite, n'abritant que les moudjahidine,
les moussebiline et quelques rares civils vivant au rythme des
maquisards. A part quelques raids
que l'aviation venait
effectuer de temps à autre au petit bonheur la chance, la région était
relativement calme. Il y fit un froid de canard durant notre séjour; il
avait beaucoup neigé et nos huttes de fortune ne nous abritaient pas
convenablement. La nourriture n'y était pas variée et n'abondait
jamais; mais on n'y crevait pas de faim et nous y passâmes malgré tout
d'agréables moments.
Le
commandant Tayeb avec
lequel nous eûmes l'occasion de discuter de notre voyage et de notre séjour
au Maroc, ne manqua pas de souligner son antipathie et sa rancœur vis-à-vis
des chefs de la wilaya V. Ainsi, de part et d'autre, on continuait
à l'époque à ne pas se
jeter des fleurs.
Nous
quittâmes le PC de la zone 3 pour nous rendre à celui de la wilaya IV
situé dan la forêt de Ouled Bouâachra, au sud de Médéa. Nous eûmes
comme compagnons de route, entre autres, les sous-lieutenants Lakhdar
Bouchama, Rachid Bouchouchi et Ali Azzi. Le premier fit avec nous deux
étapes puis nous quitta pour se diriger vers le nord, dans la région
de Ténès dont il était le chef; le second nous accompagna jusqu'à
son PC, dans la région de Theniet El-Had, et le troisième nous escorta
jusqu'au PC de la wilaya d'où il devait se diriger vers son poste de
commandement, dans la région de Miliana.
Dans
la région de Téniet-EI-Had
De
la région de l’Ouarsenis, nous passâmes à la région de Téniet
El-Had. On ne peut pas parler de celle-ci sans évoquer sa célèbre forêt
de cèdres de réputation mondiale. Cette autre merveille de la nature
n'a malheureusement pas été épargnée par la politique de la terre brûlée.
Sur
notre parcours. la nourriture fut par endroit des plus frugales. Aussi,
le sous-lieutenant Rachid Bouchouchi ne cessa de nous parler de la
richesse de sa région à tous les points de vue et insista pour que
nous fassions un petit crochet par son PC. Nous finîmes par accepter
l’invitation, mais Rachid n'avait pas compté avec l'imprévu. Nous arrivâmes chez lui
par un petit matin pluvieux et nous fûmes accueillis par deux
avions de chasse qui effectuaient des raids. Cette région venait de
subir un ratissage et la flore au-dessus du sol était toute brûlée.
Nous finîmes sous terre dans une casemate et, en guise de bonne
nourriture promise, nous eûmes droit à une grande « guessâa »
en aluminium pleine de riz. Celui-ci, bouilli dans de l'eau,
avait plutôt l'apparence d'une pâte compacte. Il nous fut servi sans
sel ni autres ingrédients. Il fallait vraiment avoir faim pour pouvoir
l'avaler. Le ratissage qui venait de passer, avait saccagé nourriture
et ustensiles. Rachid était gêné pour nous. Il en fallait plus pour
nous décevoir. Toutefois, nous trouvâmes là une occasion pour passer
le reste de la journée à taquiner Rachid. Ce brave garçon trouva la
mort plus tard, le 5 mai 1959 en compagnie du colonel Bougara.
Notre
dernière étape dans la région de Téniet- El-Had, nous la passâmes
au nord-Ouest de Letournaux (Derrag), dans une hutte faite de branches
d'arbres et de paille. Ce genre de refuge constitue en hiver plutôt un
abri à courant d'air. De plus, nous dormions à même le siol.
Megguetalmti et moi étions avntagés par nos kachabias ramenées
du Maroc et qui nous servaient en même temps de lit de couverture.
Beaucoup de djounoud s'étendaient sur un journal ou un morceau de
carton quand il leur en tombait sous la main. Quant aux djounoud des
unités, ils passaient le plus souvent leur nuit sur les crêtes à la
belle étoile, en dépit des intempéries.
Pour
nous réchauffer, nous ne pouvions pas utiliser le bois qu abondait dans
la forêt car, le jour, il dégageait de la fumée et 1e soir, la lueur
des flammes pouvait être perceptible de très loin. Nous avions
cependant découvert une espèce de racine qui avait la faculté de se
consumer sans faire de fumée ni de flamme, mais elle ne dégageait pas
beaucoup de chaleur. Cette nuit-là, je faillis prendre feu en dormant:
je m’étais trop approché de la braise et ma kachabia avait commencé
à prendre feu au niveau de mon ventre.
A
la limite d'un ratissage
Nous
étions à la limite de la zone 3 et nous nous apprêtions à entrer en
zone 2, wilaya IV. Nous avions pris le départ vers 4 H 30 du matin car
il nous fallait profiter de la demi-obscurité de l'aube pour traverser
une clairière à découvert et pouvoir progresser le jour. En forêt,
nous nous déplacions le plus souvent le jour pour nous reposer la nuit.
Nous faisions des étapes de 15 kilomètres en moyenne.
L'utilisation
des montures était contre- indiquée à cette étape. Ce qui
n'arrangeait pas les choses, du moins pour moi, car il m'était devenu pénible
de me déplacer à pieds, la plante de ceux-ci avec le contact permanent
de l'eau ces derniers temps (neige, pluie et eau des oueds) étant
devenue très sensible. Elle avait blanchi, ramolli et s'était plissée.
Nous
étions, ce matin-là, trois moudjahidine et cinq moussebiline à
faire le chemin ensemble. Seuls les trois premiers avaient des armes,
une mat 49 chacun, le commandant Meguelati, le sous-lieutenant Azzi et
moi-même. Nous nous déplacions en toute sécurité, nous discutions à
haute voix, nous chantions même. Arrivés à quelques mètres de l'orée
de la forêt pour nous engager dans la clairière, nous entendîmes des
éclats de voix en français. Elles se turent net, en même temps que
nous. Nous nous hâtâmes de nous éloigner à toute allure. Nous ne
nous sommes arrêtés que quatre heures plus tard. J'en étais même
arrivé à oublier mon mal de pieds.
Nous
avions rebroussé chemin vers 5 heures du matin. Il était 9 H quand
nous arrêtâmes notre course. Tout cela pour nous éloigner d'environ
deux kilomètres à vol d'oiseau de notre point de départ. La distance
parcourue était beaucoup plus grande, mais nous avions effectué maints
détours et zigzags pour brouiller toute poursuite et éviter d'être
repérés. Deux avions de chasse semblaient être lancés à nos
trousses. Mais ils n'arrivèrent pas à nous localiser.
Nous
devions nous rendre dans la région de Djebel Ellouh située en zone 2,
wilaya IV. Elle faisait l'objet d'un grand ratissage. Les voix que nous
entendîmes étaient celles d'une unité française qui était venue
dans la nuit, par la route de Letourneau, se poster à cet endroit pour
intercepter ceux qui arriveraient à sortir du ratissage. Nus foncions
donc droit dans la gueule du loup, n'eussent été les voix entendues à
temps.
Nous
reprîmes, le soir même, notre progression en direction du PC de la
wilaya IV, qui se trouvait dans la forêt de Glaba, dans le sud de Médéa.
Jamais un nom ne fut autant prononcé par les moudjahidine, me
semble-t-il, que celui de Glaba. Si bien qu'à une période donnée,
toutes les questions posées avaient pour réponse Glaba, telles que :
où vas-tu ? A Glaba; d'où viens-tu? De Glaba. Où est-ce qu'il
y a un ratissage ? A Glaba. où est-ce que les avions bombardent ? A
Glaba. Où y a t-il un accrochage? A Glaba, toujours, et ainsi de suite.
Glaba était une forteresse forestière et une région très
effervescente en matière d'actions. C'était aussi un point vers lequel
convergeaient des moudjahidine de toute la wilaya IV, car le PC de la
wilaya s'y trouvait.
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