Au
sujet de l’affaire Si Salah ou affaire Elysée, il serait préférable
d’utiliser le terme de contact, car en fait, il y a eu un seul et
unique contact entre le Conseil de la Wilaya IV et De Gaulle.
Ce
sont donc des anciens compagnons qui livrent leur témoignage pour
l’histoire, en dehors de toute pression ou d’un quelconque parti
pris, car ils jugent qu’il est de leur devoir de rétablit la vérité
sur ces faits qu’ils laissent à l’appréciation des hommes et des générations
futures.
Pour
nous, la révolution n’a rien à cacher. Nous relaterons les faits
tels qu’ils se sont passés, situant la responsabilité de chacun.
Mais
avant toute chose, et pour bien comprendre la genèse de cette affaire,
il faut absolument se place dans le contexte de l’époque.
1-
Situation à l’intérieur de la Wilaya IV
Comme
les autres Wilayas de l’Intérieur, la Wilaya IV avait subi une
pression terrible de l’ennemi : offensive Challe en 1959, continuée
par l’opération Matraque (mars 1960) et Cigalle (août-septembre
1960).
L’ALN
a eu de lourdes pertes (près du tiers de ses effectifs) et les victimes
civiles se comptaient par milliers. L’ennemi tentait d’isoler les
combattants par l’extension des zones dites « interdites »,
par l’implantation de nouveaux postes dans les djebels, l’ouverture
de nouvelles pistes et le regroupement par la force des populations
acquises à l’ALN dans des « centres de regroupement ».
La
Wilaya IV, de par sa situation géographique, son importance économique
pour le colonialisme et vu la forte concentration de peuplement européen
dans les villes et la capitale, sera bien encadrée par les forces
ennemies qui exerceront une pression constante sur elle.
L’échec
de la solution militaire envisagée par les militaires français va
contrindre le gouvernement De Gaulle à proposer le 16 septembre 1959 un
référendum sur l’autodétermination. Ce fut un tournant capital de
la guerre d’Algérie : pour la première fois, le pouvoir
colonial reconnaissait au peuple algérien le droit de décider de son
sort.
Pour
mémoire, on rappellera que la réponse du GPRA à cette proposition de
De Gaulle fut une déclaration sassez vague de son président :
« l’autodétermination est une chose, son application est une
autre ».
Aucune
information ni directive n’a été transmise aux wilayas de l’intérieur,
qui ignoraient totalement la position du GPRA.
Ainsi,
les Wilayas vivaient dans l’isolement total et assumaient seules la
conduite de la guerre. Elles éprouvaient un sentiment d’abandon qui
s’exprimait dans un climat de suspicion envers la Direction Nationale,
laquelle ne manifestait aucun intérêt pour les maquis et se trouvait
coupée des réalités de la lutte.
Cet
état d’esprit s’est exprimé au cours de la réunion des colonels
(chefs de wilayas) qui s’est tenue du 6 au 12 décembre 1958 en Wilaya
III. Y ont assisté les Wilayas I, III, IV et VI. La Wilaya II aurait
envoyé un observateur. La Wilaya V, qui a toujours existé à l’extérieur
(Oujda) depuis sa création, était absente.
En
résumé, cette réunion voulait résoudre le problème de l’armement
qui faisait défaut, des liens intérieur – extérieur, des dissidents
ou assimilés. Parmi d’autres négligences de la direction nationale,
on peut relever :
-
l’abandon de la capitale à son propre sort depuis la fameuse
bataille d’Alger ; Aucune décision n’avait été prise à ce
sujet jusqu’en 1959, date à laquelle la Wilaya IV a pris
l’initiative de sa réorganisation par la création d’une nouvelle
zone (6) confirmée par l’extérieur en 1960.
-
L’absence totale de réponse venant de l’extérieur aux
diverses suggestions, demandes, rapports importants ou propositions de
la Wilaya.
De
plus, nous devons rappeler que si les maquis avaient des griefs contre
l’extérieur, l’ALN aux frontières a subi elle-même quelques
crises, telles que l’assassinat de Abane, l’affaire Zoubir à
l’ouest (1957), mais surtout le « complot des colonels »
(affaire Lamouri en novembre 1958 à l’est.
2-
Situation à l’extérieur :
Depuis
le début de 1959, la Wilaya IV n’a reçu aucun renfort de l’extérieur.
Les quelques unités qui ont réussi à traverser les frontières étaient
mal équipées et surtout dotées d’armement ancien.
A
la mi-décembre 1959, s’est tenue une réunion du CNRA à Tripoli.
Parmi les décisions prises, il y avait un remaniement du GPRA, la création
de nouveaux organismes (CIG et EMG) et surtout l’adoption d’une
motion solennelle demandant l’introduction de renforts à l’intérieur
dans le courant 1960.
C’est
dans ce contexte précis, marqué par des conditions de lutte
difficiles, et un « lâchage » des maquis par l’extérieur
que s’est développée cette affaire dite de l’Elysée.
Nous
citerons les faits tels qu’ils se sont passés chronologiquement et
nous essaieront d’en faire une analyse objective.
Le
14 janvier 1960, une réunion du Conseil de Wilaya comprenant les chefs
de zone s’est tenue en zone 2 dans la région de Médéa. A l’ordre
du jour figuraient les questions suivantes :
·
Etude et analyste de la situation générale de la Wilaya au
lendemain des grandes offensives ennemies
·
Nouvelle stratégie de lutte
·
Réorganisation des Conseils de Wilaya et de zone
Ce
rapport, reflet de la situation politique et militaire en Wilaya IV, fut
transmis au GPRA. Le président de cette institution prétend n’avoir
reçu ce document qu’en juillet 1960.
Au
cours de cette réunion, le Conseil de Wilaya qui ne comprenait que deux
membres depuis la tombée au chapt d’honneur de Si M’Hamed Bougara
(5 mai 1959) a été complété par l’adjonction de deux capitaines
chefs de zone : Lakhdhar (zone 5) et Halim (zone 1).
La
réunion terminée, les chefs de zone rejoignent leurs postes de
commandement et le conseil de Wilaya au complet se répartit les tâches
comme d’habitude. Entre autres, les Conseil de Wilaya convient de réactiver
les décisions prises par les colonels lors de leur réunion historique
de décembre 1958, à savoir :
-
poursuivre les efforts en vue de coordonner et d’unifier
l’action de l’ALN par une reprise des contacts avec les autres
Wilayas.
-
Envoyer des émissaires au GPRA pour sensibiliser la Direction
Nationale sur les problèmes et difficultés des maquis, notamment le
manque de cadres, d’armes et de munitions.
La
répartition des tâches entre les membres du Conseil s’est faite
ainsi :
-
Salah devait rester au PC
-
Si Mohamed Bounaama part en contrôle en zones 3 et 4. Il était
aussi charger de contacter la Wilaya V.
-
Lakhdhar et Halim devaient contacter les autres Wilayas et
l’extérieur.
Mais
quelque temps après, Lakhdhar et Halim interrompent leur mission et
prennent l’initiative d’établir un contact avec le gouvernement
français pour connaître les intentions de ce dernier pour ce qui est
de l’application du principe de l’autodétermination retenu.
Les
deux commandants firent appel au capitaine Abdellatif (chef de la zone
2) pour leur faciliter la tâche. Par son biais, ils prirent contact
avec le cadi de Médéa (Mazighi) qui fut chargé de transmettre un
message au gouvernement français contenant leur intention de rencontrer
des responsables politiques au plus haut niveau.
Ils
voulaient discuter des offres françaises concernant l’autodétermination
et posaient comme condition : les pourparlers devaient
s’effectuer en dehors de la présence militaire française.
Le
Cadi de Médéa informa le procureur général d’Alger Schmelk qui, à
son tour, contact Edmond Michelet, ministre de la justice et ancien
compagnon de De Gaulle. Celui-ci donna son accord et confie l’affaire
à son proche collaborateur Bernard Tricot, conseiller et chargé des
affaires algériennes.
Une
rencontre fut convenue et eut lieu secrètement à la préfecture de Médéa
le 28 mars 1960. Etaient présents :
-
D’une part les commandants Lakhdhar et Halim ;
-
D’autre part Bernard Tricot, représentant de l’Elysée,
Pierre Mathon, délégué de Michel Debré. Delouvrier, délégué général
de l’Algérie, Challe, commandant en chef dd l’armée, Roy,
commandant la zone Sud Algérois, donc du secteur de Médéa, auraient
été informés des contacts en cours le 23 mars 1960.
Une
deuxième rencontre eut liue toujours à Médéa toujours entre les mêmes
personnes.
Les
Français exigèrent au cours des discussions l’observation d’un
cessez-le-feu.
Les
Algériens ont refusé et demandé de rencontrer le chef de l’état
français et la neutralisation du secteur de Médéa pour faciliter les
déplacements.
Au
cours d’une autre rencontre, le 2 juin 1960, le projet d’un voyage
à Paris fut arrêté.
Jusque
là, les deux autres membres du Conseil de Wilaya, Si Salah et Si
Mohamed Bounaama ignoraient tout de ces contacts. Il semblerait que
Salah aurait été informé des contacts entamés par Lakhdhar et Halim
vers la fin mai 1960. Salah aurait subordonné sa participation à la présence
de Mohamed Bounaama.
De
leur côté, les émissaires français, puisqu’il s’agissait d ‘une
rencontre avec De Gaulle, ont exigé la présence de Si Salah et Si
Mohamed, responsables en titre de la Wilaya. C’est ainsi qu’un
courrier fut expédié à Si Mohamed qui se trauvait en zone 3
(Ouarsenis), lui demandant de rejoindre de toute urgence le PC de la
Wilaya, implanté en zone 2.
Pour
la compréhension de cette affaire, il faut rappeler la correspondance
envoyée par Lakhdhar et Halim au GPRA, lui demandant de faire une déclaration
publique les habilitant à négocier les termes de l’application de
l’autodétermination. Sinon, ils feraient une déclaration pour dénoncer
le comportement de l’extérieur. La réponse du président du GPRA est
connue, et n’arriva qu’en septembre 1960.
Si
Mohamed, arrivé en zone 2 le 8 juin, trouve un message pour rejoindre
les autres membres du Conseil de Wilaya à Médéa. Arrivé le 9 juin au
matin à Médéa, Si Mohamed est informé du départ imminent pour
Paris, le même jour. Faisaient partie du voyage trois membres du
Conseil de Wilaya : Salah, Mohamed et Lakhdhar.
Une
série de négociations allaient avoir lieu entre les émissaires algériens
et français. Les propositions françaises comprenaient:
-
le rassemblement des djounoud dans des zones à déterminer ;
-
la constitution de commissions mictes ALN-gendarmerie ;
-
amnistie ;
-
autodétermination avec la possibilité de constituer un parti légal.
La
rencontre avec De Gaulle eut lieu le 10 juin à 21 H.
Celui-ci
leur fit part du discours qu’il s’apprêtait à faire à
l’intention de la direction du FLN à Tunis le 14 juin, et qu’il
allait les inviter à venir négocier à Paris.
Les
émissaires algériens ont demandé l’autorisation de rencontrer les
frères détenus à Paris (Ben Bella et ses compagnons) et d’envoyer
un émissaire à Tunis, ce qui fut refusé.
Si
Mohamed, pour trouver un échappatoire, demanda le temps nécessaire
pour consulter les officiers de sa propre Wilaya et prendre contact avec
les autres Wilayas.
Le
12 juin, les émissaires algériens étaient de retour à Médéa.
Le
Conseil de Wilaya s’est séparé sur la base suivante :
-
Salah et Halim devaient se rendre en Wilaya III, pour en
rencontrer les responsables ;
-
Mohamed devait contacter le Commandant Tarik et d’autres
responsables de la Wilaya V. Mohamed avait rejoint le maquis le 12 juin.
Après son départ, une nouvelle rencontre eut lieu entre Salah et Halim
d’une part, Tricot, Mathon et Jacquin d’autre part, pour mettre au
point le départ des premiers vers la Wilaya III.
Lors
d’une réunion avec des officiers et djound de la zone 2, Si Mohamed
fit part de son désaccord sur la démarche entreprise par le reste du
Conseil de Wilaya et son opposition aux propositions françaises.
Décision
fut prise, en commun avec ces officiers, pour ramener de Médéa les
trois responsables Salah, Lakhdhar et Halim.
La
décision arrêtée a été la suivante :
-
Lakhdhar et Halim, qui portent l’entière responsabilité de
cette affaire, seront sanctionnés, n’étant pas membres titulaires du
Conseil de Wilaya.
-
Salah, qui n’a pas su en tant que chef de Wilaya par intérim
arrêter l’évolution de cette affaire, et compte tenu de sa qualité
de membre du CNRA, a été
démis de ses fonctions. Sob cas a été soumis au GPRA. En attendant,
il restait au PC, libre de ses mouvements et gardait son arme.
La
sanction a été appliquée pour Lakhdhar et Halim, ainsi que pour
Abdellatif. Quant à Salah, suite à la décision du GPRA de
l’acheminer vers l’extérieur, il tomba au champ d’honneur lors
d’une embuscade tendue par l’ennemi en juillet 1961 en Wilaya III.
Donc,
on peut dire au total, et contrairement aux spéculations de l’ennemi,
que cette affaire s’est réglée par l’ensemble des officiers de la
Wilaya, y compris Si Mohamed, et sans l’appui d’une intervention
quelconque extérieure, et que seulement quatre officiers ont été
sanctionnés.
Ce
sont là des faits réels, et nous souhaitons qu’ils aident à faire
comprendre cette affaire qui a fait couler beaucoup d’encre.
Pour
l’histoire, nous pensons également mettre un terme aux mensonges et déviations
de ceux qui s’acharnent à ternir l’image de notre révolution, les
falsificateurs et ceux qui s’érigent en donneurs de leçons, ceux-là
mêmes que la simple pudeur aurait du inciter à plus de retenue parce
qu’ils étaient absents du champ de bataille.
Quant
à nous, témoins de ce lourd drame de notre lutte de libération, et du
fait de notre présence sur les lieux et de notre connaissance des
acteurs, qui furent nos compagnons jusqu’en 1960, nous tenons à tirer
les conclusions suivantes :
-
Il
faut se placer dans le contexte de l’éopque : à l’intérieur,
l’ALN subit de lourdes épreuves avec les offensives ennemies.
Elle a perdu beaucoup d’hommes, de cadres, et d’armement. Aucune
aide ne venait de l’extérieur, ni en hommes ni en matériel, et même
pas en correspondance ;
Rappelons
également la réunion des Colonels Chefs de Wilaya de décembre 1958,
qui a fait le même constat et a retenu le principe d’une direction à
l’intérieur, sur les lieux de combat, en réactivant le principe
retenu au congrès de la Soummam : primauté de l’intérieur sur
l’extérieur ;
-
A
l’extérieur, l’ALN des frontières a eu beaucoup de griefs vis
à vis du GPRA, ce qui s’est traduit par les différentes affaires
connues : assassinat de Abane, affaire Zoubir, affaire Lamouri.
Et, à postériori, nous pouvons citer un autre événement qui est
venu confirmer tout cela : l’insubordination de l’état-major
général au GPRA et le conflit qui s’en est suivi, débouchant
sur la crise de 1962.
Ainsi,
donc les analyses des chefs de l’ALN de part et d’autre des barrages
se rejoignaient quant au fonds.
C’est
donc dans ce contexte d’irresponsabilité et de négligence de l’extérieur
que se situe l’affaire dont nous venons de parler. Il est vrai que
deux commandants, Lakhdhar et Halim, membres par intérim du Conseil de
la Wilaya IV, ont pris l’initiative, sans consulter les autres
membres, de contacter les autorités françaises pour connaître leurs
intentions quant à l’application du principe de l’autodétermination.
Salah ayant été informé bien après que les premiers contacts aient
été noués, n’a pas su les arrêter en sa qualité de supérieur hiérarchique.
Mohamed,
informé à la dernière minute, au moment du départ pour la
rencontre avec De Gaulle, a été obligé de suivre le mouvement et a
assisté à cette rencontre. A son retour, il reprit les choses en
mains, en accord avec tous les officiers se trouvant en zone 2.
De
toutes les façons, pour ces responsables, tous anciens maquisards
depuis la première heure, il n’a jamais été question de capituler,
d’engager un processus seuls ou de trahir la Révolution. Dans le
contexte de l’époque, ils se sont sentis aptes, comme n’importe
quel autre responsable de la révolution, à prendre contact avec
l’ennemi pour sonder ses intentions et non pas pour négocier la
cessation du combat ou l’avenir du pays.
Maintenant,
il y a eu des sanctions. Pourquoi ? Pour la simple raison de
discipline interne. Toute décision concernant l’intérêt ou
l’avenir de la Révolution doit être prise en commun, selon le
principe de la direction collégiale retenu au congrès de la Soummam.
En
définitive, cette affaire s’est achevée par la sanction contre
quatre officiers, et n’eut aucune incidence sur la poursuite du
combat. Celui-ci continue avec autant de courage et d’abnégation, et
les nombreuses actions de l’ALN sont là pour le prouver.
Mais
l’ennemi n’ayant pu arriver à ses objectifs, s’est manifesté
comme d’habitude en déclenchant de grandes opérations –citons par
exemple l’opération dite Cigalle qui a englobé qui a englobé la
zone 3 (Ouarsenis) et qui a duré de juillet à décembre 1960.
Nous
pouvons conclure qu’en fin de compte, la responsabilité entière
incombe à la Direction de la Révolution qui, non seulement était coupée
des réalités de la guerre et n’avait aucune prise sur les événements,
mais était plongée dans des problèmes de personnes et de règlements
de comptes.
Une
direction plus volontaire et plus sincère aurait évité à notre révolution
toutes ces épreuves douloureuses. |