(…)
J’ai connu Si Salah au douar Beni Massira en octobre 1956 (... ) Il
revenait du congrès de la Soummam en compagnie de Si M’Hamed Bougara.
La rencontre fut une occasion pour expliquer les décisions et
orientations du congrès de la Soummam. J’appris ce jour là que Si
Salah était devenu membre du commandement de la Wilaya IV.
C’était
un homme grand et mince. Il parlait peu et juste, maîtrisant l’arabe
et le français, doté d’une grande culture. Il n’avait alors pas dépassé
la trentaine. Il était respecté de tous.
Si
Salah s’est rendu à l’extérieur fin 1957 pour une mission dont
l’objectif était :
a-
ramener des armes de l’extérieur
b-
améliorer la circulation des groupes qui se déplaçaient de la
Wilaya IV vers l’est et l’ouest, souvent soumis à des pressions qui
allaient parfois jusqu’à la liquidation physique.
Si
Salah traversa les monts, les oueds et les ravins pour rencontrer ses frères
à a frontière marocaine, puis se rendit au siège officiel de la
direction à Tunis, mais il découvrit rapidement leurs luttes et leurs
divergences marginales. Sa mission fut un échec.
Il
décida de rentrer, mais on le lui interdit. On lui proposa des missions
à l’extérieur, s’il suit leurs ordres. Ce fut pour lui un véritable
choc psychologique. Il fut profondément touché de voir les dirigeants
de l’extérieur, malgré le confort et le bien-être, comploter chacun
de son côté, monter des pièges et s’entretuer pour des intérêts
personnes sans aucun rapport avec la révolution.
Affronter
l’ennemi à l’intérieur lui apparut mille fois préférable à ce
faux confort dans lequel se prélassaient les autres au nom de la révolution
et des révolutionnaires. Il décida de revenir les mains vides, ne
ramenant qu’un livre ayant pour titre : « opération truquée ».
Ce livre ne le quittait plus, comme si c’était la principale leçon
de sa mission qui dura cinq longs mois à l’extérieur.
Il
reprit ses activités aux côtés de Si M’Hamed Bougara, dont il était
l’assistant, jusqu’à la réunion des colonels de l’intérieur en
wilaya II. Si M’Hamed l’informa des résultats et le chargea de
l’exécution.
Nous
apprîmes dans un premier temps l’envoi d’unités symboliques en
Wilayas I et VI pour mettre fin aux conflits qui s’y déroulaient Mais
ceci ne dura pas longtemps, et la révolution perdit certains de ses
piliers représentés pas Amirouche et Si Haouès. Après deux mois
seulement, Si M’Hamed tombait en martyr à son tour le
mai 1959 au sud de Médéa. C’est ainsi que Si Salah devint
automatiquement commandant officiel de la Wilaya IV.
Durant
son commandement, notre Wilaya connut une série de problèmes
importants. Le Conseil de Wilaya disloqué du fait de la sortie à
l’extérieur de certains de ses cadres, notamment Omar Ousseddik et le
Commandant Azzeddine. Le siège se durcit, des opérations ennemies
d’envergure s’intensifièrent. Si Salah tenta de colmater les brèches,
en organisant la première réunion qu’il dirigeait comme chef de
Wilaya le 14 janvier 1960 à Rouabah, au nord de Boghar. Après une évaluation
de cette étape difficile et les résultats de l’opération « Courroie »,
il choisit les membres de son conseil de Wilaya qui sont :
-
Salah Zamoun, chef de Wilaya
-
Mohamed
Bounaama, son adjoint
-
Abdelhalim, responsable politique. Il fut choisi à ce poste en
raison de sa grande culture, et parce qu’il était diplômé de l’école
militaire du Caire.
-
Si Lakhdhar, responsable des liaisons et renseignements.
Ces
deux derniers auront un rôle central dans la rencontre qui allait
regrouper plus tard Si Salah et De Gaulle à L’Elysée.
Au
cours de cette réunion, il fut également décidé de joindre la zone 5
à la Wilaya IV, alors qu’elle dépendait auparavant de la Wilaya VI.
Ceci fut décidé après les incidents déplorables qui eurent lieu en
Wilaya VI, et dont les résultats furent notamment la mort de tayeb
Djoughlali, premier adjoint de Si Haouès, et d’autres officiers dont :
-
Si Khaled, secrétaire de la Wilaya VI,
-
l’officier Hamid, désigné à la tête des bataillons envoyés
vers les Wilayas qui connaissaient des troubles (I et VI),
-
Si Djillali, chef des commandos, chargé de combattre les
messalistes dans les monts de Boukehoul.
La
réunion décida également de dépêcher des émissaires aux Wilayas I,
III et VI pour voir s’il était possible de mettre à exécution les décisions
prises par les colonels lors de leur réunion antérieure.
(…)
Tout au début de son commandement de la Wilaya IV, Si Salah prit
contact avec la direction établie alors aux frontières marocaines pour
l’informer des derniers évènements après la mort de Bougara et les
décisions qui furent prises.Le contact fut d’abord établi avec le
Colonel Houari Boumediène à travers le chiffre. Il demanda un délai
pour étudier la situation et promit une réponse au cours d’un
prochain contact.
La
nuit suivante, à la même heure, le contact fut de nouveau établi. La
réponse était peu claire, et fut incroyable. Nos services s’attelèrent
à déchiffrer le message, et après plusieurs tentatives, nous pûmes
en confirmer le contenu (…) Nous crûmes cependant que l’ennemi,
avec ses moyens performants, avait découvert nos émissions, et était
parvenu à nous envoyer ce message insolent et vulgaire, pour provoquer
le trouble et le doute dans nos rangs. Il avait l’habitude de le
faire.
Avec
calme et sagesse, Si Salah demanda de nouveau le contact avec Houari
Boumediène par radio, par morse, pour confirmer définitivement le
message de la veille. L’ennemi découvrit rapidement la communication,
et couvrit les voix par une chanson de Mohamed Abdelouahab, « bafakkar
fi elli nsani et ansa elli fakerni »… (Je pense à celui qui
m’a oublié et oublie celui qui pense à moi) L’ennemi s’était
habitué à passer cette chanson qui correspondait si bien à la
conjoncture.
Si
Salah réagit avec calme, pensant que le coup était monté par les
services spéciaux français, et que le mot insolent de la veille
provenait des services ennemis. Mais il dut rapidement déchanter car il
se confirma que le même mot en chiffres de la veille était répété
par Houari Boumediène. Si Salah était en compagnie de Bounaama.
Il
ne répondit pas avec la même insolence, préférant la sagesse. Il écrit
à cette direction de l’extérieur : « Conscient de ma
responsabilité historique envers vos agissements à l’extérieur…
Je vous propose de nommer un responsable de la Wilaya V, et qu’il soit
à la tête de la zone 4. Si vous ne le fait pas, je serai contraint
d’informer la base populaire de ce qui se passe entre nous, et de
votre comportement indigne de la morale de la révolution ».
Aussitôt
après, arriva la réponse, qui dénotait la peur de la direction à
l’extérieur de voir sa situation étalée au grand public. Ils donnèrent
leur accord pour désigner Si Tarek commandant par intérim de la Wilaya
V. Ainsi, commença une coopération sincère entre les Wilayas IV et V.
Si Salah dépêcha Si Hassan (Youcef Khatib) pour une mission durant
laquelle il rencontra directement les responsales de zone de la Wilaya
V. A son arrivée dans la région de Labiodh Sidi Cheïkh, la mission
subit un accrochage avec l’ennemi durant lequel tombèrent les héros
Mejdoub et Yahia Meghrebi.
Ceci
est un témoignage sur l’existence d’une volonté sincère de coopération
entre notre Wilaya et la Wilaya V. Si Salah continua sur la voie de son
commandant et maître Si M’Hamed Bougara qui considérait l’Algérie
comme un tout indivisible, et que le combat pour son indépendance nous
amène au martyr sur toutes ses terres sans distinction.
Si
Salah envoya également deux émissaires en Wilaya I et VI en complément
de qu’avait entamé Si M’Hamed Bougara. Il envoya également
Bounaama en Wilaya V. Pour des raisons opérationnelles, Si Hassan fit
le voyage à sa place. Je me souviens être resté en contact permanent
avec les émissaires en Wilayas I et VI, Si Halim et Si Lakhdhar, en ma
qualité de responsable de l’organisation des groupes et chargé de
leur accompagnement aux limites de notre Wilaya.
(…)Si
Salah savait que cette rencontre (de l’Elysée) n’était pas un
cadeau fait à l’ennemi, et qu’il ne négociait pas sur du vide, ni
d’une position de battu. Il se baisait sur son histoire personnelle et
militante, sur les victoires militaires remportées par l’ALN, sur les
victoires politiques remportées par la diplomatie de la révolution
auprès de l’opinion internationale et lors des sessions de l’ONU.
Les Français connaissaient parfaitement son passé militant au sein de
l’OS. C’était un compagnon de Krim Belkacem et Ouamrane, un des
premiers à avoir rejoint la révolution. En plus, c’était un des
proches du grand dirigeant Si M’Hamed Bougara, un homme investi de la
confiance de tous et un homme politique d’expérience.
(…)
Procès de Si Salah
Si
Salah est revenu de la wilaya III. Il lui était possible de ne pas
revenir. Sachant les mesures prises contre lui et les accusations
qu’il encourait, il lui était même possible de trouver refuge auprès
d’un général français et de vivre comme un roi. Il a préféré
revenir au PC de la wilaya pour se défendre, argument contre argument, et
confirmer à tous qu’il était le combattant ferme qui ne rompt pas
(…) Il a préféré la confrontation avec tout ce qui en découle à
la fuite. Il a préféré dire ce qu’il avait à dire, laissant à
l’histoire seule le soin de juger. Il a accepté de devenir adjoint
après avoir été chef de wilaya, sans que cela ne diminue en rien sa détermination.
Revenu
au PC de la wilaya, il s’est mis à la disposition du commandement
pour être jugé, sachant ce que signifie un jugement à cette époque.
Lui-même avait eu souvent à juger des personnes, parmi lesquelles
benmessaoud et Mohamed Kadhi, deux chefs de secteur, et la condamnation
de Tayeb Djoughlali et son groupe.
Je
dirais un mot pour l’histoire. Si Salah était juste dans ses
jugements. Il ne faiblissait pas, et ne commettait pas d’injustice.
Son cœur ne connaissait ni la rancune ni la haine. Il donnait à chacun
son du.
Son
arrivée coïncida avec celle de Ahmed Bencherif, qui arrivait de Tunis,
après un terrible périple qui a duré une année entière. C’était
le 16 septembre 1960. Au cours d’une rencontre en tête à tête avec
Bounaama, Bencherif apprit toute l’affaire, selon version présentée
par Bounaama. Quand Bencherif rencontra Si Salah, il serra la main de
tout le monde, mais évita de lui tendre la main, disant avec hauteur :
« Si Salah, j’aurais voulu t’embrasser deux fois sur le front,
selon la volonté de ton frère Ferhat que j’ai laissé aux frontières,
mais après avoir appris ce qui s’est passé, je m’excuse de ne
pouvoir le faire ». Il y avait tant d’ironie et d’animosité
dans ses propos que je ne pus me retenir : « s’il était
absolument nécessaire d’accuser Si Salah et de le juger, ce ne sera sûrement
pas toi qui le fera parce que tu ignores totalement la question ». |