Commandant
Si Mohamed, chef de la Wilaya IV
Le
Matin, 19 août 2000
Tout
d'abord, il y a lieu de souligner l'effort méritoire de M. Guella
d'avoir tenté de faire connaître aux lecteurs du journal et aux Algériens
le personnage hors du commun du chef de la wilaya IV, tombé au champ
d'honneur
le 8 août 1961 à Blida. Cependant, il aurait été aisé à l'auteur
de compléter ses connaissances sur le sujet en se rapprochant des
anciens compagnons de Si Mohamed et des acteurs et témoins des faits
historiques qu'il évoque et qui concernent le combat de la wilaya IV à
une époque cruciale de la guerre de Libération. Cela lui aurait évité
de rapporter des faits inexacts et surtout d'en tirer des conclusions
erronées.
Le contre-maquis de Kobus
Ce maquis, constitué par Belhadj Djillali, un ancien militant du
mouvement national, et connu sous le nom de la « Force K », était
implanté entre Aïn Defla et les Attafs et le poste de commandement était
situé au douar Zeddine.
Ce maquis fut démantelé, non pas par une action armée de deux
katibate de l'ALN, comme le
prétend M. Guella, mais par une opération de rébellion ou sédition
fomentée par les principaux adjoints de Kobus et qui fut organisée et
menée magistralement par l'officier de l'ALN, le lieutenant Bouchouchi
Rachid (natif d'Alger). En effet, au cours du printemps 1958, les «
commandants » Madjid et Hamid, adjoints de Kobus, prirent contact avec
l'ALN et exprimèrent leur intention de rejoindre avec leurs hommes les
rangs de cette dernière. Il faut préciser que les deux susnommés étaient
eux aussi des anciens militants du MTLD qui furent induits en erreur par
Belhadj Djillali qu'ils avaient connu dans le Mouvement national mais
dont ils ignoraient le retournement et la trahison. Aussi, bon nombre de
jeunes Algérois, qui fuyaient la répression ennemie lors de la grève
des huit jours de février 1957, les rejoignirent au maquis de Zeddine.
L'attaque perpétrée par le commando Djamal contre la « Force K » à
Zeddine, en avril 1957 sous les ordres de Si Mohamed, lieutenant de zone
à ce moment-là, dévoila les accointances de la « Force K » de
Belhadj avec l'armée française, car cette dernière vola à son
secours en donnant l'aviation contre le commando. Cet événement permit
au gros des troupes de Belhadj de se rendre compte qu'ils étaient dans
le mauvais camp. Ils n'abandonnèrent pas immédiatement leur position
et eurent peur de rejoindre l'ALN compte tenu des exactions commises par
Kobus et ses sbires contre les populations civiles et de l'espionite
organisée par le chef dans les rangs de l'armée fantoche.
Les adjoints de Belhadj ne décidèrent de passer à l'action qu'au
printemps 1958.
Rachid Bouchouchi qui venait d'être promu lieutenant en zone 2 (zone de
Blida-Médéa) et qui fut longtemps responsable de la région où évoluaient
les unités des
« Belhadjistes », comme on les appelait à l'époque, fut donc
l'interlocuteur des dissidents belhadjistes qui avaient exprimé
l'intention de rejoindre l'ALN.
Méfiant, et voulant éviter toute mauvaise surprise, et après en avoir
informé ses supérieurs, il exigea d'eux qu'ils désertent avec armes
et bagages avec tous les effectifs et de ramener comme preuve de leur
engagement définitif la tête de leur chef.
Au jour fixé, le 28 avril 1958, la « Force K », forte de près d'un
millier d'éléments, rejoignit l'ALN comme convenu avec Si Rachid. Ils
furent immédiatement répartis à travers les différentes zones de la
wilaya en prévision de la riposte de l'armée française. Cette dernière
ne tarda pas à engager une vaste opération-poursuite qui dura
plusieurs semaines. Plusieurs accrochages entre les unités de l'ALN et
l'armée française eurent lieu dont le plus important se déroula le 4
mai 1958 au douar Bathia, situé à la limite de arch Béni Boudouane,
fief à l'époque de bachagha Boualem.
Il opposa l'armée française au commando Djamal, unité d'élite de la
zone 3. Les forces françaises vinrent en très grand nombre et mobilisèrent
des hélicoptères et un nombre impressionnant d'avions. Les éléments
belhadjistes, encadrés par les djounouds du commando Djamal, se défendirent
vaillamment et mirent en échec la tentative de l'armée française de
les reprendre.
Il y eut ce jour-là beaucoup de pertes de civils, victimes des
bombardements aériens.
L'armée française récidiva fin juin 1958 en engageant, par l'Ouest,
une opération de tenaille sur l'Ouarsenis dirigée par le général
Gilles. C'est au cours de cette opération que l'infirmerie du docteur
Bakir (originaire du M'zab) fut découverte, non loin de Bab El Bekouche
à Ouled El M'Abane, le 28 juin 1958. Tous les blessés qui s'y
trouvaient furent achevés froidement par les soldats, y compris le
docteur Bakir.
La grande offensive militaire française qui toucha toutes les places
fortes de l'ALN des différentes wilayate et se déroula d'Ouest en Est,
dont l'opération dénommée « Courroie » pour l'Ouarsenis, évoquée
par l'auteur, eut lieu bien après le dénouement de l'affaire des
belhadjistes, puisqu'elle ne démarra qu'en mars 1959.
Les négociations Wilaya IV-Elysée
Cette affaire eut lieu au cours de l'été 1960 et ne fut nullement une
adhésion à l'opération « paix des braves » lancée bien auparavant
par de Gaulle.
Contrairement à l'affirmation de l'auteur, elle n'eut pas lieu à la même
époque que l'affaire de la « Bleuite » qui se déroula du vivant du
colonel Amirouche. Pour mémoire, Amirouche tomba au champ d'honneur le
28 mars 1959 en compagnie du colonel Haouès à Djebel Thameur (au sud
de Boussaâda en wilaya VI).
Pour la compréhension de l'affaire, il faut rappeler que les négociations
wilaya IV-Elysée eurent lieu après la reconnaissance par de Gaulle, le
16 septembre 1959, du droit des Algériens à l'autodétermination.
Après l'acceptation par le Gouvernement provisoire de la République
algérienne (GPRA) du principe de l'autodétermination, les wilayate ne
reçurent aucune instruction d'ordre politique ou militaire de la part
du GPRA pouvant les éclairer sur la stratégie à
adopter.
Elles étaient de plus en plus isolées, l'ennemi ayant achevé le
bouclage des frontières Est et Ouest par les fameuses lignes électrifiées
et minées et dont le franchissement était devenu difficile.
Elles ne pouvaient plus s'approvisionner en armes et munitions, hormis
par les récupérations sur l'ennemi, et ne pouvaient donc renouveler
leurs effectifs sérieusement amoindris par les grandes opérations de
l'armée française qui se répétèrent durant les années 1959 et
1960.
Mais surtout, les wilayate éprouvaient un sentiment d'abandon de la
part de l'Autorité suprême de la Révolution qui était installée à
Tunis et ne répondait à aucune requête des maquis. Bien plus, elle
les tenait dans l'ignorance des développements politiques induits par
la continuation de la guerre. Les responsables des wilayate, à qui
incombait la conduite de la lutte, depuis la sortie de la direction
nationale (le CCE) du territoire national dès l'été 1957,
nourrissaient un sentiment de défiance envers les organes de la Révolution
établis en Tunisie et au Maroc.
La nature des rapports des wilayate avec la direction de la Révolution
qui a prévalu pendant les années de la guerre explique, en partie, les
causes de la crise de 1962 qui fut surtout une crise de la direction de
la Révolution. Les responsables de la wilaya IV étaient d'autant plus
critiques à l'égard de la direction extérieure de la Révolution, que
la wilaya dont ils avaient la charge subissait, sur le terrain, les plus
terribles pressions de l'ennemi. Du fait de sa position géographique,
elle était l'objet d'une action répressive constante et d'un
quadrillage rigoureux. Les deux cinquièmes du total des effectifs français
étaient centrés sur la wilaya IV.
C'est dans ces conditions de lutte et dans cet état d'esprit que des
responsables de la wilaya IV prirent l'initiative de transmettre à
Tunis un long rapport décrivant la situation qui prévalait non
seulement en wilaya IV mais dans les autres maquis de l'intérieur. Le
rapport réclamait les moyens à la direction nationale et exigeait
aussi des informations de sa part. La lettre resta sans réponse.
Certes, la démarche des responsables de la wilaya IV est condamnable
dans la mesure où ils n'avaient pas à se substituer à la direction
nationale de la Révolution et n'avaient pas autorité à négocier
directement avec le gouvernement français. Mais il faut retenir
principalement que les responsables de la wilaya IV n'accédèrent pas
à la demande française de déclarer un arrêt de combat et un
cessez-le-feu. Les responsables de la wilaya convinrent de consulter les
autres wilayate, notamment les wilayate III et V dès leur retour en Algérie.
Ils demandèrent aussi à rencontrer les chefs du FLN détenus en
France, à savoir les frères Boudiaf, Ben Bella, Aït Ahmed et Bitat.
Le gouvernement français rejeta cette
demande.
Cet épisode n'eut aucune conséquence sur le combat que menait la
wilaya IV, peuple et ALN. L'affaire fut résolue de main de maître par
Si Mohamed Bounaâma dès son retour au maquis. Bien plus, en riposte à
une vaste opération militaire nommée « Cigale », que déclencha
l'ennemi dans l'Ouarsenis, toutes les unités de l'ALN, les fidayine,
moussebiline accrurent les coups de main contre les objectifs de
l'ennemi durant toute l'année 1960.
Le travail inlassable, entrepris par la suite par Si Mohamed dans la
mise en place de structures efficaces dans les villes, notamment à
Alger, dont la wilaya IV, prit en main la réorganisation et l'érigea
en 6e zone, l'organisation de liaisons rapides avec les zones à partir
de ses PC opérationnels urbains, donnèrent un souffle nouveau à
l'organisation FLN-ALN, souffle qui fut amplifié par les grandioses
manifestations de Décembre 1960.
C'est en pleine action et alors qu'une dynamique formidable portait le
FLN-ALN vers la victoire qu'est tombé Si Mohamed avec trois autres de
ses compagnons dans la maison du militant Naïmi à Blida. Soutenir,
comme le fait l'auteur, que la négociation avec l'Elysée « devait déboucher
sur une reddition pure et simple des djounouds de l'ALN », c'est faire
fi du niveau de conscience des cadres et djounoud de la wilaya IV. A
aucun moment, les responsables de la wilaya IV ne pensèrent à cette
solution de trahison. Et sous aucun prétexte, les cadres et djounoud de
la wilaya IV n'auraient accepté une telle issue à leur combat et à
celui de nombre d'entre eux tombés au champ d'honneur. La wilaya IV
n'enregistra aucune reddition pendant cette période.
Enfin, le commandant Si Salah (Zamoum Mohamed) en tant que membre du
Conseil de la wilaya IV, et donc membre du Conseil national de la Révolution
algérienne (CNRA), fut dirigé vers Tunis. Il ne fut ni dégradé ni désarmé,
comme le prétend l'auteur. Il tomba au champ d'honneur dans une
embuscade tendue par l'ennemi en wilaya III alors qu'il partait pour la
Tunisie.
Ramdane Omar, un compagnon de Si Mohamed |