C
est un des deux ou
trois hommes qui détient
le plus de pouvoir dans l'Algérie d'aujourd'hui. Il est chef de la
wilaya 4, et on l'appelle Si Hassan.
Les
journalistes, pour le distinguer du Roi du Maroc (Hassan II), du
responsable Politique de la Wilaya 3 (Hassan III), l'ont surnommé
Hassan IV.
Ni
Si Hassan, ni Hassan IV. En fait, il s'appelle Youcef Khatib, et depuis
trois mois, il a, avec le grade de colonel, une autorité incontestée
sur l'ensemble de l'Algérois. Depuis lundi dernier, il contrôle
aussi la ville d'Alger. En tout, près de deux millions d'habitants.
Youcef a 28 ans.
Ni
Lénine ni Cbeikh
Arsian
Un
regard sérieux, des yeux gris vert, bref de taille, le poil dru et
court, solidement planté au-dessus d'un visage ferme, Si Hassan (les
manuels d'histoire garderont ce nom) n'a connu que deux étapes dans sa
vie: les études et le maquis.
En
1956, il avait 22 ans. Il achevait sa deuxième année de médecine à
la Faculté d'Alger. Son père, comme lui, est né à Orléansville et a
exercé les fonctions de commis dans la commune mixte. Le jeune Youcef
était doué, il fallait en faire quelqu'un,
Après
ses études primaires, Youcef Khatib obtint une bourse qui le mena
calmement jusqu'à son
baccalauréat: Il venait
d'achever son cycle d'études secondaires lorsque, avec le 1er novembre,
l'Algérie choisit son destin.
L'insurrection
ne bouleversa pas la vie du jeune étudiant. Il ne s’était jamais
préoccupé de politique comme on dit. Il n'avait lu ni Lénine ni
Marx ni Cheikh Arslan. Pour lui, ce monde-là n'existait pas et il
demeurait polarisé sur ses études. En juin 1956, il réussit à son
examen, commença à prendre ses vacances en attendant la rentrée
prochaine. Mais au cours de cet été là, les chefs du FLN s'étaient réunis
quelque part dans la vallée de la Soumm et avaient pris, pour lui, des
décisions qui allaient transformer toute son existence.
Grève
des études décidée
par l'UGEMA, entrée en masse des élèves et des étudiants dans le
maquis: Youcef Khatib, comme tout le monde, en fut. Youcef Khatib était
devenu Si Hassan.
Le
maquis, il le prit dans sa région, autour d'Orléansville, sur les
montagnes boisées de l'Ouarsenis. La willaya 4 cherchait alors à utiliser
les compétences: Vous faites
de la médecine? Très bien, vous serez médecin»,
Et
brusquement, le jeune étudiant de 22 ans, qui avait à peine observé,
de loin, quelques malades à l'hôpital Mustapha derrière ses maîtres,
fut appelé à traiter les blessures les plus graves. Sur le tas, il
apprit à faire des amputations, à extraire du tréfonds d'une
chair meurtrie les balles de l’ennemi. De temps en temps,
lorsqu’il en avait le temps, il jetait des coups d’œil hâtifs sur
les manuels, mais le plus souvent, il travaillait d’instinct, muni de
quelques règles qu’on lui avait enseignées et d’un bon sens
qu’on est bien obligé d’acquérir lorsqu’on est obligé de se
battre dix, vingt fois par jour contre la mort des autres.
Alger
ou le Paradis
Rapidement,
Si Hassan monta dans la hiérarchie de la section sanitaire de la
willaya 4. Responsabe d'infirmerie,
d'hôpital, chef
des services sanitaires de la région, puis de la zone d'Orléansville.
Enfin, avec le titre de responsable sanitaire de la willaya 4
qu'il obtint en 1959, Si Hassan crut
qu'il avait achevé son ascension dans la révolution. La guerre allait
se terminer, et il pourrait enfin reprendre ses études. Mais la paix
tarde. Challe entreprend ses grandes opérations à travers
toute l'Algérie, Hassan connaîtra pour sa part l'opération «
Couronne »
C'est
alors que l'A'LN doit subir la plus terrible épreuve qu'ait connue
un maquis. Les uns après les autres, tous les chefs sont tués ou se
réfugient à l'extérieur. Si Hassan, lui, demeurera à son poste.
Lorsqu'il quittait ses amis, il leur donnait rendez-vous à « Alger,
ou au Paradis».
L'aventure,
pour lui, s'est terminée à Alger, mais il y a peu de frères au
rendez-vous. Si Hassan se retrouve sur les hauteurs de la capitale, avec
son conseil de Wilaya composé de quatre personnes : Mohamed
Bousmaha, -que les militaires français ont appelé « le tueur de Médéa »
(23 ans, première partie du bac), les Commandants Youcef (28 ans,
certificat d'études), Lakhdar (24 ans, instruction arabe élémentaire),
Omar (23 ans, première partie du bac). Ce gouvernement de l'Algérois a
une moyenne d'âge de 25 ans et cinq mois. Ses cinq membres n'ont connu
le combat que sur le terrain . Ils sont colonels ou commandants,
mais ils sont bien moins militaire, que des chefs Scouts de leur âge.
Bien
sûr, ils portent le revolver sur la hanche droite, ils manient la
mitraillette avec une habileté effarante, mais on est surpris de
constater combien ils sont peu attachés à ces instruments qui les ont
suivis depuis des années.
Retour
à la médecine
Si
Hassan veut redevenir l'étudiant Youcef Khatib. Dans deux ou trois
mois, il pourrait être ministre des Affaires Etrangères. Il le sait
peut-être, mais il ne veut pas en entendre parler. « Moi,
dit-il, gouverner des hommes ne m’intéresse guère. J’avais un
devoir, je l’ai fait en y mettant le meilleur de ce que je possèd,e
mais aujourd'hui nous sommes arrivés au but que nous nous étions fixé,
l'Algérie est indépendante, qu'elle prenne en mains ses
responsabilités. Je retourne à ma médecine »
Si
Hassan a été atterré de voir les divisions du FLN se manifester avec
tant de virulence. Il savait bien qu'à l'extérieur, quelques querelles
altéraient l'atmosphère autour du GPRA. Mais il était bien sûr que
les responsabilités du
pouvoir éteindraient
ces échauffements au sein de la direction.
Son
rôle devint de plus en plus important au fur et à mesure que l'issue
du conflit se rapprochait. Si Hassan se refusait à choisir entre Ben
Bella et Boudiaf. Il entendait d’autant moins faire telle ou telle
autre option en matière politique que lui-même considérait que les
organismes réguliers du pays devaient seuls se réserver cette fonction
Au
cours de la crise, sa wilaya était considérée comme neutraliste.
Lui-même n’aimait pas beaucoup ce qualificatif. Il disait simplement :
« -Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que l’accortd
se fasse ».
Et
l’accord s’est fait. |