La Wilaya IV            الولاية الرابعة التاريخية

 

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- Objectifs révolutionnaires,

in El-Moudjahid, août 1957

- Hassan IV, in Jeune Afrique, 1962

- Massu, Le Torrent et la digue (extraits)

- La vie en Wilaya IV

- Bougara: une plume subtile

 

 

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La rencontre de l’Elysée, qui a regroupé Si Salah, chef de la Wilaya IV, son compagnon Si Mohamed Bounaama, responsable militaire, Si Lakhdhar, responsable politique, avec le général de Gaulle à l’Elysée, le 10 juin 1960, demeure encore sujet de polémique et d’interprétations en raison du secret total qui l’a entourée, et raison de l’abstention des proches d’en parler. Etant l’un des acteurs, il est de mon devoir national de rétablir la vérité historique comme elle s’est déroulée, et de restituer l’affaire dans son contexte général pour que la responsabilité de ces dirigeants soit établie, en leur faveur ou en leur défaveur.

L’expérience de Si Salah avec la direction à l’extérieur fut amère, comme nous l’avons dé mentionné. A cela s’ajoute l’isolement dans lequel se trouvait notre Wilaya vis à vis des autres Wilayas qui avaient des frontières avec l’extérieur, et qui auraient pu alléger la pression que nous subissions en nous fournissant armes et munitions.

La situation s’est aggravée avec le siège que nous subissions, et qui a dépassé toute mesure, particulièrement depuis l’avènement du général De Gaulle au pouvoir, et le cantonnement des popuations dans des camps de regroupement, pour les isoler et considérer tout le reste du territoire comme zone interdite. Il faut aussi citer les opérations militaires quotidiennes dans le cadre des grandes opérations de ratissage visant à anéantir la révolution , ainsi que l’impossibilité pour nos forces de se restructurer et se reconstituer.

Mais cette situation, malgré son importance, n’était pas la seule raison qui a poussé à la rencontre de l’Elysée. Ce n’était pas une rencontre du désespoir et de la soumission, ce que confirmeront les propos tenus par Si Salah à l’Elysée et ses positions envers les propositions de De Gaulle.

Préparation de la rencontre

La rencontre fut préparée par des parties françaises et algériennes, et la dernière étape en fut la rencontre du  2 juin 1960 à Médéa. C’est là que fut définitivement décidé le voyage de Si Salah à l’Elysée pour rencontrer De Gaulle le 9 juin 1960, et ce après l’arrivée secrète du colonel français Jacquan à la sous-préfecture de Médéa en compagnie de trois autres personnes. Bernard Tricot les y attendait, ainsi que le colonel Mathon et trois dirigeants de la Wilaya IV. Si Lakhdhar, responsable politique, se chargea de présenter ses compagnons en disant : « Messieurs, je vous présente Si Salah Zamoum, responsable de la Wilaya, Si Mohamed Bounaama, responsable militaire. Quant à Si Abdellatif, il n’a pu assister à la réunion en raison d’autres occupations ».

La réunion fut consacrée à mettre les dernières retouches à la rencontre envisagée. Tous sont montés ensuite à bord de l’hélicoptère vers 16 H, pour s’envoler vers Dar El Beïda où les attendait un avion anglais pour les emmener à Paris.

(…) Après un dîner (à bord de l’avion), Si Salah surprit ses interlocuteurs en disant : « Il faut nous faciliter une rencontre avec Ben Bella et ses compagnons détenus ». Les responsables français furent interloqués. C’était une manœuvre politique de la part de Si Salah à travers laquelle il visait deux objectifs :

1-     il était une partie indivisible d’une direction, à l’intérieur et à l’extérieur,

2-     pousser les autorités françaises à considérer les cinq détenus comme des hommes ayant des droits nationaux et non de simples hors la loi comme le disaient ses médias.

Bernard Tricot répondit : « Votre rencontre avec Ben Bella le poussera à informer le GPRA et à faire capoter la rencontre avec De Gaulle ».

Si Salah sourit et garda le silence.

Tricot se rattrapa et ajouta : « J’exposerai votre demande au général ».

L’avion atterrit dans un endroit préparé à l’avance à l’aéroport d’Orly, où trois voitures les attendaient avec un seul homme. C’était le sous-préfet de Rambouillet, qui ne connaissait pas l’identité des trois hommes.

Il faisait déjà nuit. Si Salah prit place avec le sous-préfet, en compagnie de Bernard Tricot. Quant au général Nicot, aide de camp du général De Gaulle, il avait avec lui Si Mohamed Bounaama, alors que le colonel Mathon conduisait la voiture à bord de la quelle était monté Si Lakhdhar.

(…) Les voitures s’arrêtèrent devant un palais somptueux entouré d’une forêt dense préparé pour accueillir les trois dirigeants. Ceux-ci demandèrent la liberté de rester groupés dans une même pièce (…) qui donnait sur celle où se trouvait Bernard Tricot.

Le lendemain matin, au petit déjeuner, le général français informa les trois dirigeants de la Wilaya IV que les dispositions avaient été prises pour la rencontre avec le général De Gaulle, et que rendez-vous était pris pour le 10 juin à 22 H à l’Elysée.

Si Salah demanda à ses interlocuteurs de préparer un programme de travail conforme à ce qui avait été décidé lors des précédents rencontres à Médéa, ajoutant : « Devrions-nous dire « général » ou « Monsieur le président ? »

Tricot répondit : « appelle-le « mon général ».

Si Salah posait cette question pour savoir si De Gaulle voulait négociait comme militaire ou comme un civil.

Si Lakhdhar demanda à Tricot qui participerait à la rencontre aux côtés du général. Tricot répondit : « personne d’autre que Mathon et moi ». Encore une fois, les Français faisaient erreur.

Tout le monde quitta le palais à 20 H (…) Les voitures s’arrêtèrent devant le palais de l’Elysée, vidé de ses fonctionnaires et de ses gardes. Les bureaux avaient été fermés. Le général français les accueillit, perplexe. Devait-il les fouiller comme c’était toujours le cas lorsqu’un visiteur entrait chez le général ? Instants difficiles. Le général se dit qu’il avait pris toutes les mesures dans le bureau du général. Il avait posté sur la partie supérieure de la salle, derrière le rideau, des gardes dotés d’armes automatiques sous le commandement du garde du corps personnel de De Gaulle Henri Djouder. Tous avaient leurs armes braquées sur Si Salah et ses compagnons, prêts à faire feu au moindre geste des droits dirigeants de la Wilaya IV. Tricot et Mathon avaient eux aussi des pistolets.

La porte de De Gaulle fut ouverte à 22 H précises. De Gaulle apparut avec sa grande taille et ses bras immenses, les invitant à s’asseoir, disant de sa grosse voix si particulière : « Messieurs, veuillez vous asseoir ».

Si Salah s’assit au milieu, face au général, avec à sa droite Si Lakhdar et à sa gauche Bounaama. Tricot et Mathon entouraient le général.

Si Salah savait que cette rencontre n’était pas un cadeau fait à l’ennemi, et qu’il ne négociait pas sur du vide, ni d’une position de battu. Il se baisait sur son histoire personnelle et militante, sur les victoires militaires remportées par l’ALN, sur les victoires politiques remportées par la diplomatie de la révolution auprès de l’opinion internationale et lors des sessions de l’ONU. Les Français connaissaient parfaitement son passé militant au sein de l’OS. C’était un compagnon de Krim Belkacem et Ouamrane, un des premiers à avoir rejoint la révolution. En plus, c’était un des proches du grand dirigeant Si M’Hamed Bougara, un homme investi de la confiance de tous et un homme politique d’expérience.

Il engagea la négociation avec le Général De Gaulle tout en ayant en tête les résultats de la 3ème réunion du CNRA qui avait eu lieu du 16 décembre 1959 au 20 janvier 1960 à Tripoli, durant laquelle il avait été pris note de la reconnaissance du droit du peuple algérien à l’autodétermination (…)

Il s’assit à la table de négociation sur un pied d’égalité, conscient  de la responsabilité historique  qu’il assumait, mesurant le danger que représentait De Gaulle lui-même comme personnalité politique et militaire exceptionnelle, un homme dont le règne avait été marqué, pour la révolution algérienne, par la période la plus dure, la plus atroce et la plus criminelle. C’était aussi l’homme des moments critiques dans l’histoire contemporaine de la France. C’est lui qui avait dirigé la résistance contre le nazisme, pour revenir sauver son pays dans sa guerre contre le peuple algérien, utilisant toutes les méthodes et tous les moyens militaires pour sortir son pays et l’OTAN d’une impasse qui avait failli disloquer l’unité de la France elle-même. Il a utilisé tous les moyens de destruction et de division et a ainsi dépassé en danger les professionnels nazis, transformant l’Algérie en un four où se carbonisait un peuple dans son ensemble… En dépit de tout cela, la force a échoué à éliminer la volonté collective.

Les négociations commencèrent entre les parties en conflit. La préoccupation de Si Salah et ses compagnons était d’exploiter une série de facteurs, dont le principal était l’échec de la France à détruire la révolution par les armes pendant six années, ce qui avait provoqué le chute des régimes en France et en dernier la IVème République. Cela en vue de :

-         forcer De Gaulle à reconnaître le droit du peuple algérien à l’autodétermination

-         pousser le dialogue le plus loin possible

-         exploiter la déliquescence et les conflits internes en France entre les partisans de l’Algérie française et les autres.

De Gaulle a entamé la rencontre en disant : Je voudrais vous dire, avant tout, que la position que je vais vous exposer est celle de la France ».

En moins d’une heure, fut exposé tout ce qui avait été évoqué lors des réunions préliminaires de Médéa. Après audition de l’exposé présenté par ses assistants, il reprit : « Un référendum aura lieu à condition que les combattants algériens déposent les armes dans des lieux à déterminer au préalable en accord entre les deux parties ».

Si Salah est intervenu, puis Bounaama et Si Lakhdhar. Les deux parties parvinrent à un accord sur l’autodétermination sur la base de conditions objectives et pacifiques. Si Salah ajouta à l’adresse de De Gaulle : « Je souhaiterais que vous ne considériez pas notre venue à l’Elysée comme une position isolée ou opposée à quiconque parmi nos compagnons au sein de l’ALN et du FLN ».

Si Lakhdhar dit à son tour : « Nous oeuvrerons pour un accord avec les autres dirigeants de l’intérieur. Pour cela, il faut que vous facilitiez notre circulation à travers les wilayas ». De Gaulle donna son accord, et ajouta : « Un nouvel appel sera adressé au GPRA pour l’inviter à un cessez-le-feu ».

Si Salah prit de nouveau la parole pour dire : « Il faut que nous informions les autres responsables de wilaya de ce que nous avons discuté et de ce que nous avons convenu. Si le GPRA répond à votre appel, ce que nous espérons, il n’y a plus lieu de discuter avec nous ni même à nous rencontrer, car nous ne possédons pas les prérogatives pour parler au nom de la révolution. Mais si le GPRA refuse vos propositions, nous continuerons de notre côté à faire pression en faveur des négociations et du dialogue, pour arrêter l’effusion de sans des deux côtés ».

Ainsi prirent fin les négociations. De Gaulle se leva, en disant : « Messieurs, j’espère vous rencontrer une seconde fois, et j’espère qu’alors, il me sera possible de vous serrer la main. Mais cette fois-ci, je vous salue, je vous salue ».

Si Salah et ses compagnons rendirent respectueusement le salut. Tricot ouvrit la porte, et tout le monde sortit sous le regard de De Gaulle.

Le rideau était tiré sur cette  rencontre secrète, aux termes duquel Si Salah et ses compagnons sont sortis du consensus révolutionnaire. C’était une faute, mais je ne pense pas que leur action était une trahison.

La rencontre reste l’objet de polémique. Elle fait couler beaucoup d’encre et de sang… Elle est restée une blessure dans nos consciences…

Je n’ajouterai rien à la réalité après tant d’années en disant que la crise qui a secoué notre wilaya s’est dénouée dans la wilaya. Nous avons, avec notre simplicité et notre expérience, réussi à dépasser la crise sans l’intervention de personne. Nous avons assumé notre responsabilité historique pour face de manière rapide et décisive au plan élaboré par la rencontre de l’Elysée, pour le détruire rapidement. Je m’étonne aujourd’hui en entendant ceux qui prétendent avoir mis fin à l’affaire Si Salah, allant jusqu’à inventer des événements et des actes héroïques dont ils ne sont pas dignes, salissant les hommes sans en réunir les preuves et sans analyse des événements dans leur contexte global (…)

Plan pour contrer les résultats de la rencontre de l’Elysée

Les frères Lakhdhar et Halim me demandèrent de les rejoindre le 2 mars 1960 dans la région de Tablat, précisant que la rencontre doit avoir lieu dans le plus grand secret et que je dois me rendre seul au rendez-vous. Je me rendis au douar Bakiria près de Tablat, où je les retrouvai. Ils devaient se rendre en mission Wilaya I et VI. Pourquoi ne s’y étaient-ils pas rendus ? Ils me donnèrent l’ordre de ne plus envoyer de groupes dans les autres wilayas, et me demandèrent si Bounaama était parti en mission (en Wilaya V). Je leur répondis qu’il s’était rendu en zone 3, et de là, il se rendrait en Wilaya V. Je me rappelle avoir rencontré Belkacem Henni, responsable de la zone 1, convoqué pour faire passer lmes deux hommes en wilaya III comme c’était prévu initialement, avant qu’ils ne changent d’avis.

Je restai avec eux du 12 au 18 mars 1960. Abdellatif Tolba, responsable de la zone, nous rejoignit, après avoir décidé de son plein gré de mettre fin à une mission dont il avait été chargé.

J’ignorais l’objet de cette mission bien que j’étais sont adjoint. Si Abdellatif me demanda d’accompagner le groupe quelle que soit sa destination. Je me rappelle que des contacts intenses avaient lieu près de l’endroit où nous nous trouvions sans que j’en connaisse l’objet.

Mais avec le temps, les fils ont commencé à se dénouer. La mission de Si Abdellatif devint claire au cours d’une rencontre avec un juge de Médéa, Kaddour Merifi, qui avait été chargé de prendre contact avec le procureur général auprès de la cour d’Alger (…)

Si Abdellatif me donna l’ordre, après deux jours, de rejoindre le groupe, qui me chargea de me rendre en zone 5 de la Wilaya IV. Je fus choisi parce que je connaissais bien la région.

Mais pourquoi me demandèrent-ils de revenir les rejoindre après deux jours ? Pourquoi Lakhdhar et Halim n’accomplissaient-ils pas les missions dont ils avaient été chargés ? Et pourquoi m’avaient-ils demandé si Bounaama s’était rendu en mission de son côté ?

Mais le plus grave était le fait qu’ils ne m’aient pas demandé des nouvelles de Si Salah, qui se trouvait au PC de la wilaya, et le fait qu’ils m’aient défini le trajet que je devais emprunter pour aller en zone 5 et en revenir pour en rencontrer le responsable, Si Ali Baba Bachir. Je fus pris de doute envers ce que planifiant les compagnons d’armes, mais je gardai mes inquiétudes pour moi. Je décidai de changer d’itinéraire et me dirigeai droit au PC de la Wilaya près de Glaba, dans la région de Boghar, sachant que Si Salah s’y trouvait.

Sans préalables, je le mis au courant de tout ce que j’avais vu, la fin de l’envoi des groupes, Halim et Lakhdhar qui abandonnaient leur mission et rencontraient Abdellatif. Je ne lui fis cependant pas état de mes doutes, et me rendit à l’évidence que Si Salah n’était pas au courant. Ceci me fut confirmé quand je lui remis la lettre que je devais remettre au chef de la zone 5. A ce moment, je ne pus me retenir, et lui dis « je ne sais pas ce qui se passe, mais cela m’a intrigué et j’ai décidé de t’en informer. Je me mets à ta disposition pour faire ce que tu penses être pour le bien de la révolution et de la patrie ».

Il me regarda longuement, dans changer d’expression. Je ne sus s’il était triste ou peiné, ou satisfait de ces développements. Après un long moment de silence, il m’ordonna de me rendre immédiatement en zone 5 pour la mission dont j’avais été chargé.

(…) Je décidai d’envoyer un message à Bounaama qui se trouvait alors en zone 3 dans l’Ouarsenis. Je lui demandai la permission de le rejoindre. Après un court laps de temps, je reçus sa réponse, qui me déçut profondément, car il me répondit : « Informe to commandant Si Salah, car sa responsabilité est au dessus de tous ». Je renouvelai ma démarche, avec une deuxième lettre remise au même émissaire, lui précisant que j’avais informé Si Salah. Entre-temps, Lakhdhar et Halim avaient envoyé une lettre à Bounaama.

Je terminai ma mission en zone 5, et revins auprès du groupe. Je fus extrêmement surpris en voyant auprès d’eux Si Salah, qu’ils avaient informé de leurs plans par courrier.

Les discussions étaient secrètes. Je ne pus entendre que le nom de Si Tarek, alors chef de la Wilaya V par intérim. Mon angoisse atteignait son paroxysme. J’étais certains que quelque chose de grave se préparait dans le secret le plus total. Le groupe me chargea d’une mission urgente en zone 1. J’étais tenaillé par le doute (…) Je décidai de recourir Bousmaha, qui m’avait succédé à la tête de la zone 4. Je ne le connaissais pas bien, mais il me paraissait très dynamique, totalement engagé dans la révolution, et le plus sincère de tous.

(…) Il comprit que j’étais venu pour une question importante. Il m’assura qu’il serait à mes côtés, pour affronter toutes les éventualités. Je lui dis que ce n’était pas mon destin personnel qui était en en jeu, mais j’avais peur pur l’avenir de la révolution et ce qui pouvait l’entacher.

Après examen de la situation, nous arrivâmes à une conviction commune qu’il fallait faire face à ce qui se tramait dans l’ombre. Chacun ayant acquis confiance en l’autre, nous commençâmes à planifier ce qu’il fallait faire, en commençant par prendre possession du poste de transmission avec l’extérieur… Mais malgré la gravité de la situation, la direction extérieure risquait de ne pas nous croire, et prendre des décisions qui mèneraient à l’explosion. Nous abandonnâmes cette idée, et décidâmes d’informer les chefs de Wilaya et responsables de zone de ce qui se passait. Mais ceci nous parut également peu sûr. J’exposai mon idée à Bousmaha, qui s’y opposa dans un premier temps, puis l’accepta, et mit sur pied un groupe spécial pour faire face à toute éventualité.

Mon idée était de dire au groupe au le commandant Tarek, dont le nom avait été évoqué, cité dans notre Wilaya, dans la région de Mokorno, et qu’il souhaitait les rencontrer. Nous mires le plan à exécution. J’allai les rejoindre. Il y avait Salah Zamoum, Mohamed Bounaama, Lkhadhar Bouhemaa, Halim et Abdellatif. Je leur proposai que Si Salah ou Bounaama m’accompagne, car ils connaissaient bien Tarek.

Bounaama décida de m’accompagner, pendant que les autres restaient sur place. Quand nous atteignîmes la forêt de Mokorno, et alors que la nuit était avancée, nous exposâmes notre plan à Bounaama. Nous lui assurâmes que nous voulions savoir ce qu’il en était, de sa bouche ou de celle de Si Salah, en dépit de ce qu’il y avait dans notre initiative de dépassement de nos prérogatives et des règles de la révolution.

Bounaama nous expliqua tout ce qui s’était passé, de la rencontre avec le juge de Médéa à la rencontre de l’Elysée. Notre surprise était totale (…) Comment le général De Gaulle avait-il accepté de rencontrer les chefs des fellaghas, alors qu’il aurait du rencontrer les politiques, ou Bellounis et Kobus ou même Messali Hadj ? Qu’avait dit Si Salah à De Gaulle ? Quels étaient les résultats, quel était l’avenir de la révolution après cette dangereuse première ?

Nous informâmes Bounaama de notre initiative qui dépassait nos prérogatives pour faire face à la situation, mais sans accuser quiconque de trahison. Nous lui laissâmes le soin d’assumer la responsabilité de la décision. Il prit une nouvelle position opposée à la sienne, ce qui a poussé certains historiens à le considérer comme un opportuniste. La vérité est que Bounaama n’était pas de ce genre. Il a été convaincu par nos arguments, et a changé sa position. Il savait que ce qu’avait fait Si Salah et ses compagnons n’était pas une trahison, mais plutôt une défaite de De Gaulle qui avait accepté de rencontrer ceux qu’il appelait les fellaghas.

(…) Bounaama prit conscience de la gravité de la situation et prit les décisions suivantes :

1-     démettre Si Salah de ses fonctions

2-     Arrêter le groupe qui a participé à la rencontre de l’Elysée

3-     Intensification des opérations militaires contre l’ennemi sur tous les fronts

Je pris personnellement ses ordres, par écrit, et nous entamâmes l’exécution. Je me dirigeai, avec Bousmaha à la tête d’une unité, vers Médéa où nous assiégâmes, la nuit, la maison du juge Kaddour. Nous n’y trouvâmes que Lakhdhar Bhhemaa. Si Salah et Rahim s’étaient dirigés vers la Wilaya III pour informer Mohamed Oulhdaj des résultats de la rencontre de l’Elysée.

Nous assurâmes au juge que, du moment que son rôle s’était limité à celui de contact, il ne lui serait pas fait de mal, à charge pour lui dire que Bouchemma était parti en mission et qu’il reviendrait rapidement. Par mesure de précaution, nous demandâmes à Lakhdhar de confirmer cela par un écrit. Il opposa un refus total. Il nous demanda de l’emmener auprès de Bounaama pour qu’il révèle tout.

Nous le ligotâmes, et nous dirigeâmes vers le lieu où se trouvait Bounaama. Nous tentions d’apaiser les esprits, en affirmant que ce que nous faisions faisait suite à un ordre du commandement général. Nous atteignîmes le refuge de Bounaama à l’aube, où nous laissâmes Bouchemaa, pour poursuivre notre mission.

J’appris plus tard que Lakhdhar Bouchemaa, sollicité pour établir un rapport détaillé sur sa participation à la rencontre de l’Elysée, expliqua qu’il répondait à l’appel de De Gaulle à un dialogue parce qu’il n’avait plus confiance en ceux qui se complaisaient à Tunis dans une politique de gaspillage inutile. Il voulait entendre De Gaulle de vive voix pour connaître ses vraies intentions concernant l’autodétermination qui mettrait fin aux souffrances du peuple algérien. Le rapport mentionnait également que parmi ces objectifs de la rencontre de l’Elysée, « si les intentions du général De Gaulle étaient sincères, arriver à un accord sur l’autodétermination et une coopération entre l’Algérie et la France dans le cadre du respect mutuel des souverainetés des deux parties » (…)

Ce sont des extraits du rapport de Bouchemaa envoyé à Genève et de là à Tunis à destination du président du GPRA Ferhat Abbas. Ferhat Abbas l’a reconnu quand je le rencontrai par hasard, pour la première fois, à l’Assemblée Nationale. Il dit : « cet homme m’a insulté dans une lettre qu’il m’a adreséée après s’être rendu à l’Elysée ». En fait, ferhat Abbas avait confondu entre l’auteur de la lettre, Lakhdhar Bouchemaa, et moi-même, Lakhdhar Bouregaa.

(…) Je repris ma mission, partant à la recherche de Abdellatif. Après une nuit de marche, je le trouvai au sud de Chréa, près de Chaaoutia. Durant cette courte période, Lakhdhar Bouchemma avait été exécuté.

Les ordres de Bounaama étaient d’arrêter Abdellatif, de le désarmer, et s’il refuse ou s’y oppose, de l’exécuter. Mais quand je retrouvai, je ne pus le faire, face à ce valeureux moudjahid qui avait fait partie du commando Ali Khodja. Il avait été profondément touché dans sa dignité lors de son séjour au Maroc, où il avait emprisonné et maltraité de la part de la direction extérieure.

Abdellatif fut surpris de ma présence. Je lui dis que Bounaama avait décidé une grande offensive dans la Mitidja et le Sahel, et qu’il préparait un plan et le contacterait à cet effet… C’est la deuxième fois que j’enfreignais des ordres formels… Dieu m’a guidé en ce sens pour éviter d’humilier un compagnon d’armes sincère. Abdellatif insista pour m’accompagner en vue de rencontrer Bouchemaa, disant : il faut que je le voie, car du moment que Bounaama a changé de position, Si Lakhdhar a lui aussi modifié sa position. Je rusai, lui disant que les deux hommes s’étaient rendus dans l’Ouarsenis, et qu’il était impossible de les contacter.

Mais devant son insistance à rencontrer Bounaama, je finis par céder. Nous passâmes une journée entière à évoquer des souvenirs et à discuter, ce qui me permit d’apprendre une partie de la vérité. Abdellatif avait été chargé du volet contacts dans l’affaire de l’Elysée. Quant l’auteur principal de cette idée, c’était Si Lakhdhar Bouchemaa, qui l’a planifiée et exécutée avec leur aide. Il me dit aussi que Bouchemma répétait souvent que les dirigeants de l’extérieur ne s’intéressaient guère à l’avenir de la révolution. Il ajouta qu’il avait eu des doutes sur l’accord de Bounaama pour participer à la rencontre. J’étais soulagé d’apprendre que Bounaama n’était pas enthousiaste à l’idée de l’Elysée.

Nous prîmes la route pour le rendez-vous avec Bounaama, selon mon plan, pour atteindre Boudha, à l’est de Médéa, en trois heures de marche. Quand Bounaama vit Abdellatif avec moi, en compagnie de Bousmaha, sans que nous l’ayons désarmé, il m’adressa un regard très dur. Je lui fis un signe discret. Il se calma et demanda à nous voir seuls, Bousmaha et moi. Pendant que Bousmaha occupait Abdellatif, Bounaama me posa directement la question : pourquoi tu n’a pas appliqué les ordres t’intimant de le désarmer, le ligoter et de l’abattre s’il refuse ? Je lui demandai de me donner l’occasion de m’expliquer, en présence de Bousmaha. Il répondit que tout ce qu’il savait, c’était que Abdellatif était le premier responsable de ce qui se passait. Je dis : connaissais-tu bien Abdellatif auparavant ? Il ne répondit pas. J’ajoutai que « Abdellatif est venu pour s’informer auprès de toi et se mettre à ta disposition, avec Lakhdhar Bouchemaa ». Il me coupa, déclarant : « Lakhdhar n’est plus parmi nous. Il a été exécuté ». Je fus secoué, et ma peur grandit concernant Abdellatif, que je souhaitais retrouver parmi nous plutôt que de le voir tué de nos mains.

Par chance, Bounaama fut convaincu des bonnes intentions de Abdellatif, après une longue discussion à laquelle assista partiellement Bousmaha. Après deux heures de discussion, nous décidâmes de changer de lieu. Le lendemain, Bounaama émit ses premières décisions, en tant que chef de wilaya. Elles concernaient :

1-     la dissolution du conseil de wilaya sans en donner les raisons, laissant cela pour une réunion ultérieure

2-     remplacement des membres du conseil de wilaya par les chefs de zone

3-     désignation de Abdellatif, auparavant menacé d’exécution, comme membre du conseil, et comme responsable de deux zones, la 1 et la 5

4-     informer les chefs de zone d’une prochaine réunion durant laquelle ils seront mis au courant des raisons des changements.

5-     Etablissement d’un programme d’action pour chaque zone

Les conditions qui ont mené à l’exécution rapide et sans jugement de Si Lakhdhar sont dues à l’impact de l’événement sur Bounaama, d’une part, et à l’absence d’un défenseur, à l’inverse de ce qui s’est passé avec Si Abdellatif, que nous avons défendu parvenant à empêchant Bounaama de ne pas l’exécuter.

La réunion du conseil fut fixée et eut lieu sous la présidence de Bounaama, en présence des chefs de zone. Le sujet fut exposé dans sa totalité au conseil pour l’étudier et prendre définitivement position sur la question. Certains résultats furent décevants, car le conseil a dénoncé Abdellatif et l’a condamné à mort. Mes efforts et ceux de Bousmaha ne furent pas suffisants pour convaincre les membres de revenir sur la décision. Ce qui a changé le rapport de forces lors du jugement, c’est la position de Bounaama, qui est resté neutre et n’a pas émis son point de vue la question malgré son poids en tant que chef de wilaya détenteur de toutes les prérogatives. Je ne sais s’il a adopté cette position par conviction ou par crainte de voir le jugement de Abdellatif se tranformer en jugement de tous ceux qui avaient participé à la rencontre de l’Elysée. C’est ainsi que fut décidée la condamnation, et aussitôt exécutée.

Les accusations contre Abdellatif

On se demande d’abord pourquoi Abdellatif a été désigné membre du conseil de wilaya, et pourquoi on lui a confié des missions qu’il a parfaitement remplies si son destin était d’être jugé et condamné ? Cette question ne trouve pas de réponse dans la précipitation et le volontarisme, et les conditions particulières du moment. De plus, pour les membres du conseil , les accusations portées contre lui ne laissaient pas place au doute. Elles étaient les suivantes :

1-     Abdellatif avait été fait prisonnier auparavant sans avoir été blessé

2-     Il a été libéré sans être resté longtemps en prison, alors que tous ses compagnons étaient morts, parmi lesquels Hamdane, Abderrezak, responsable des RL en zone 4, le Dr Farès, médecin de la Wilaya, arrêté après avoir été blessé.

3-     Abdellatif a rencontré deux généraux français qui ont essayé, à travers lui, à connaître les résultats de la rencontre de l’Elysée et les changements intervenus au sein de la Wilaya. Abdellatif les avait ignorés, mais ils avaient insisté, lui demandant d’être un intermédiaire entre eux et les dirigeants de la wilaya. Ils avaient suivi la même méthode auparavant avec le commandant Azzeddine, arrêté après avoir été blessé. Mais la sagesse de Si M’Hamed Bougara l’avait amené à envoyer Azzeddine à Tunis pour mettre fin aux doutes et assurer la dignité des hommes de la révolution.

4-     L’existence d’une lettre fabriquée par les services spéciaux français envoyée à Abdellatif, remis par un traître aux responsables de zone alors en réunion. La lettre faisait état de l’échec de la rencontre de l’Elysée, et mettait Abdellatif en garde contre ce qui pouvait lui arriver. La lettre a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les membres du conseil de wilaya l’ont considérée comme la preuve matérielle de la complicité de Abdellatif avec l’ennemi.

Le traître (qui avait remis la lettre) avait pris soin d’éviter qu’elle ne tombe entre mes mains ou celles de Bousmaha, car nous savions ce qu’il avait fait avec les lettres adressées au commandant Azzeddine, à Bousmaha et à moi.

(…) Procès de Si Salah

Si Salah est revenu de la wilaya III. Il lui était possible de ne pas revenir. Sachant les mesures prises contre lui et les accusations qu’il encourait, il lui était même possible de trouver refuge auprès d’un général français et de vivre comme un roi. Il a préféré revenir au PC de la wilaya pour se défendre, argument contre argument, et confirmer à tous qu’il était le combattant ferme qui ne rompt pas (…) Il a préféré la confrontation avec tout ce qui en découle à la fuite. Il a préféré dire ce qu’il avait à dire, laissant à l’histoire seule le soin de juger. Il a accepté de devenir adjoint après avoir été chef de wilaya, sans que cela ne diminue en rien sa détermination.

Revenu au PC de la wilaya, il s’est mis à la disposition du commandement pour être jugé, sachant ce que signifie un jugement à cette époque. Lui-même avait eu souvent à juger des personnes, parmi lesquelles benmessaoud et Mohamed Kadhi, deux chefs de secteur, et la condamnation de Tayeb Djoughlali et son groupe.

Je dirais un mot pour l’histoire. Si Salah était juste dans ses jugements. Il ne faiblissait pas, et ne commettait pas d’injustice. Son cœur ne connaissait ni la rancune ni la haine. Il donnait à chacun son du.

Son arrivée coïncida avec celle de Ahmed Bencherif, qui arrivait de Tunis, après un terrible périple qui a duré une année entière. C’était le 16 septembre 1960. Au cours d’une rencontre en tête à tête avec Bounaama, Bencherif apprit toute l’affaire, selon version présentée par Bounaama. Quand Bencherif rencontra Si Salah, il serra la main de tout le monde, mais évita de lui tendre la main, disant avec hauteur : « Si Salah, j’aurais voulu t’embrasser deux fois sur le front, selon la volonté de ton frère Ferhat que j’ai laissé aux frontières, mais après avoir appris ce qui s’est passé, je m’excuse de ne pouvoir le faire ». Il y avait tant d’ironie et d’animosité dans ses propos que je ne pus me retenir : « s’il était absolument nécessaire d’accsuer Si Salah et de le juger, ce ne sera sûrement pas toi qui le fera parce que tu ignores totalement la question ». 

L'affaire de l'Elysée

Témoignage de Lakhdhar Bouragaa

Extrait de "Assassinat d'une révolution"