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A L'OCCASION DE LA FETE DE L'INDEPENDANCE DU 5 JUILLET 1962
Hommage aux familles de nos valeureux chouhada
Pendant toute la durée de ma participation au combat libérateur contre
l’armée française dans les maquis, j’avais toujours sur moi un petit carnet
de route, je notais des noms, des dates, des lieux, tous ces événements qui
m’ont marqué à tout jamais, j’ y écrivais, je relatais nos embuscades et
accrochages contre l’ennemi durant la révolution armée du 1er Novembre 1954.
Aujourd’hui, je peux écrire les lettres que je voulais adresser aux familles
de nos moudjahidine, aux parents de mes compagnons morts au champ d’honneur,
en héros à mes côtés, en faisant le sacrifice suprême avec la conviction de
n’accomplir que leur devoir de patriotes, de combattants de la liberté en se
voulant anonymes. Je voudrais que leurs noms ne disparaissent pas des
mémoires de ceux qui les ont connus. Que nos valeureux martyrs, que leur
mémoire soit honorée, que leurs familles, leur peuple, sachent combien ils
ont été superbes. Maintenant, je veux écrire les lettres que je n’ai pas
transmises dans les moments difficiles. Ces lettres à nos jeunes enfants de
notre valeureux peuple, pour qu’ils n’oublient jamais nos vaillants chouhada
morts aux combats, face à l’armée française qui n’a pas hésité à pratiquer
la politique de la terre brûlée, elle détruisait tout sur son passage
brûlait maisons et forêts, se vengeait sur notre courageux peuple sans
armes, qui a consenti tous les sacrifices par son engagement. Il était plus
qu’un soutien logistique pour les moudjahidine, je n’oublierai jamais, cela
doit rester gravé dans la mémoire collective, l’accueil chaleureux
réconfortant et revigorant que nous réservaient les populations civiles en
nous nourrissant et nous logeant après nos batailles, nos longues marches
harassantes de plus de dix heures bien des fois En effet, combien sont-ils
de nos enfants de vingt ans, universitaires, les forces vives de l’Algérie
de demain à connaître le chahid Si Zoubir de Soumaâ, de son vrai nom
Souleïmen Tayeb mort héroïquement au champ d’honneur le 22 février 1957 dans
le douar de Sbaghnia dans la wilaya de Blida pour protéger la vie d’environ
quatre cents étudiants et lycéens qui avaient fui les villes après la grève
générale des 8 jours, des commerçants et qui étaient en attente dans cette
localité avant d’être envoyés en Tunisie et au Maroc pour le cheminement
d’armes à notre wilaya IV qui avait un grand besoin ou afin de terminer
leurs études, mais le nombre important d’étudiants restés trop longtemps
dans la région a attiré l’attention des soldats français, vers 3h de
l’après-midi, ils se sont retrouvés encerclés par une quinzaine
d’hélicoptères «Sikorsky». Les parachutistes français se sont acharnés sur
les étudiants désarmés. Si Zoubir ainsi que vingt-sept étudiants dont une
lycéenne ont été tués dans cette bataille. Allah yerham echouhada. Le chahid
Si Moussa chef du commando Si Zoubir, commandant de la compagnie El Hamdania,
région III et chef du commando de la zone II wilaya IV, est tombé au champ
d’honneur dans un grand combat. La place de la ville de Chréa (wilaya de
Blida) porte son nom. Si Moussa kellouaz était soldat dans l’armée française
durant la guerre d’Indochine, ainsi que Si Ahmed Kelassi, Chamani Abdelkader
de Aïn-Defla, Si Maâmar Maâmar de Oued-Djer et Brakni Braham de Blida ont
fait le service national dans l’armée française, avec leur expérience
militaire, ils étaient l’ossature du commando Si Zoubir qui a réussi à
sortir victorieux dans plusieurs batailles de l’ALN contre l’armée
française. Aujourd’hui, combien sont-ils de nos adolescents à connaître le
nom du chahid Bouras Mohamed d’El Affroun, mort à l’âge de 17 ans dans la
bataille de Tamesguida le 22 mars 1957, où notre commando Si Zoubir a
anéanti les paras du colonel Bigeard, des éléments d’élite d’Indochine
expérimentés en guérilla. Ce commando était dirigé par le lieutenant
Guillaume, le fils du général Guillaume, résidant au Maroc pendant que le
protectorat était formé de soldats français volontaires, pour passer la nuit
au maquis à qui ont avait promis des promotions de grade ; sa mission était
de faire une opération servant à démontrer à une délégation de sénateurs
américains et français que la région de Blida était pacifiée et que seuls
quelques rebelles communistes (fellagas) subsistaient. Nous avons abattu le
lieutenant Guillaume et ses 58 volontaires paras avec leurs armes, nous
avons fait un prisonnier sergent-chef, le lendemain la ville des Roses,
Blida était en deuil, ses paras ne sont pas revenus. Aujourd’hui, qui de nos
enfants connaît le nom du chahid Benmira Tayeb de Theniet-El-Had dit El
Istiklal, nous lui avons donné le nom de l’Istiklal parce qu’un jour, en
leur donnant des cours, il nous dit : «Je ne connaît ni l’indépendance, ni
l’istiklal, je suis venu pour combattre et je serais chahid» il tomba au
champ d’honneur le 26 avril 1957, un vendredi le 27e jour du mois de
Ramadhan correspondant à «Leïlet El Kadr», dans la bataille de Sidi-
Mohand-Aklouche dans la région de Cherchell. Lui qui, la veille, disait
qu’il allait être chahid dans la bataille du lendemain et nous devancer au
paradis «Djenet El Ferdous» notre frère El Istiklal a été touché par une
roquette au ventre. Grièvement blessé, il était heureux de mourir pour
l’Algérie, ses derniers mots ont été «Prenez mon arme, tran`smettez mon
salut à mes compagnons et si un jour vous êtes de passage au douar Mira
Theniet- El-Had, transmettez mes salutations à ma famille, embrassez ma
fille et maintenant laissez moi mourir, partez vite ! Partez vite !» El
Istiklal, nous demandait de partir, car il savait que les troupes françaises
étaient à côté et que nous devions continuer la bataille. Au cours de ce
combat, nous avons perdu notre compagnon El Istiklal et deux moudjahidine
blessés ; L’ennemi a subi de lourdes pertes qui s’élevaient à plus de
soixante-quatre morts et des centaines de blessés. Nous avons abattu deux
avions de chasse T6 Morane. Les chouhada Cherfaoui Ahmed de cherchell et
Ahmed Abbas de Mouzaïa morts dans la bataille de Sidi-Semiane, le 20 mai
1957. Pendant toute la durée de l’accrochage, alors que l’ennemi sachant
qu’on était dans la forêt, il a mis le feu pour nous brûler, les youyous de
joie et d’encouragement de notre peuple nous parvenaient des douars
environnants, nous nous en sommes sortis miraculeusement en infligeant de
lourdes pertes à l’ennemi. A la fin de cette bataille, l’armée française
avait tout brûlé, la population a couru vers nous avec des bols de lait et
de la nourriture en se fichant pas mal de ses maisons qui brûlaient. C’est
un vaillant peuple. Takarli Slimane et Si Mahfoud de Khemis-El-Khechna,
tombés au champ d’honneur le 4 mai 1957 dans l’accrochage de Zaccar contre
le 29e BTA (Bataillon de tirailleurs algériens). Ils sont morts alors qu’on
s’apprêtait à prendre position, quand soudain éclataient des coups de feu,
l’ennemi tirait sur notre premier groupe, les voltigeurs français nous
avaient devancés sur la Crête. Takarli Slimane et Si Mahfoud ont été tués
par la même rafale de mitrailleuse. Ce jour-là, nous étions trente-cinq
moudjahidine contre un bataillon de soldats français, nous en avions tué un
grand nombre et fait un prisonnier pied-noir d’Oran. A l’occasion de
l’anniversaire du congrès de la Soummam le 20 Août 1957, la katiba El
Hamdania été désignée pour harceler les villes de Cherchell, Novi, Damous,
Gouraya, Hadjret Enous, Menaceur, Sidi-Amar, Larhat et ce, sur un rayon de
quatrevingt kilomètres. A 19h 40 m, notre groupe est arrivé à l’endroit d’où
on devait attaquer la caserne d’officiers français de Cherchell, nous étions
l’un à côté de l’autre, tous armés de fusils Garand, et de Mas 36, nos
doigts sur la gâchette, nous savions que les autres groupes de moudjahidine
de notre katiba El Hamdania étaient dans la même position que nous, prêts à
exécuter les objectifs indiqués de l’ennemi à 20 heures précises, nous
avions commencé à tirer tous ensemble à la même seconde, c’était la panique
dans la caserne de l’école des officiers de Cherchell, on entendait les cris
de douleur des soldats français surpris par notre attaque, les sirènes
hurlaient, c’était le branle-bas de combat. Le commandant Si Baghdadi de son
vrai nom Allili Ahmed, de Boufarik est le premier à avoir fait rentrer les
armes de l’extérieur (de Tunis). A son arrivée au mois de mai 1958, il
procéda à une répartition des armes aux trois zones de la wilaya IV, la zone
I, Lakhdaria (Ex-Palestro), la zone II Blida, la Zone III Ouarsenis- Zaccar
(Chlef) ; en juillet 1958, Si Baghdadi est appelé à se rendre de nouveau au
Maroc, il eut cette fois moins de chance dans le Sahara entre El Bayadh et
Mécheria, à une étape de la frontière algéro-marocaine, au sud-ouest d’El-Aricha,
il est surpris avec quelques maquisards en plein Chott El Gherbi, un espace
plat à perte de vue et désespérément désertique, il n’eut d’autres
ressources que de livrer bataille aux soldats français avec l’espoir de ne
pas être pris vivant, il lance l’assaut sur l’ennemi en brandissant son arme
aux cris «D’Allah Akbar», il alla ainsi au-devant d’une rafale de
mitrailleuse de l’ennemi qui mit fin à une glorieuse vie dont les pages sont
à écrire en lettres d’or. Mon compagnon Brakni Braham, la perle de l’équipe
de football de l’USM Blida, est mort au champ d’honneur en lançant l’assaut
pour récupérer un fusil-mitrailleur lors d’un grand accrochage dans le douar
de Brakna près de Cherchell. Brakni voulait ce fusil, coûte que coûte, parce
que quelques jours auparavant en quittant notre commando Si Zoubir pour une
mission de grande importance, avait laissait sa mitraillette Mat 49. C’était
la coutume et le règlement de l’ALN. Armé d’un pistolet, Brakni était
déterminé à récupérer un fusil-mitrailleur dans cette bataille, cet assaut
lui a été fatal, Allah yarhem echouhada. Du côté de l’ennemi, les pertes ont
été très importantes. Noufi Abdelhak de Cherchell est mort dans la grande
embuscade de Lalla Ouda : Damous, daïra de Cherchell le 28 février 1957.
Avec le bataillon du commando de la wilaya IV sous le commandement de Si
Yahia. Cette embuscade, menée par les moudjahidine, était un véritable
succès, plusieurs dizaines de véhicules ont été détruits, un important
arsenal d’armes automatiques a été récupéré, un avion abattu et des dizaines
de soldats français tués. Si Abdelhak est mort le 28 février 1957 en
essayant de démonter sur un half track une mitrailleuse 12 /7. L’ennemi a
récupéré son corps, il a été exposé sur la place de la ville de Cherchell,
les paras ont ramené sa mère en lui disant voilà ton fils le fellaga. Elle a
répondu «Ce n’est pas mon fils, c’est le fils de l’Algérie.» Le commandant
Si Yahia de son vrai nom Aït Maâmar, chef de bataillon de la wilaya IV, mort
le 15 avril 1957 dans la bataille de Sidi- Madani à Tamesguida entre Blida
et Médéa, Si Yahia et sa section ont livré une lutte acharnée à des milliers
de soldats, toute une journée, les moudjahidine se reliant sur la seule
mitrailleuse 24/29 qu’ils avaient, avant de mourir, chacun disait à l’autre
«oh, mon frère, fais ton possible ne laisse pas les soldats français nous
prendre la pièce mitrailleuse 24/29». La bataille faisait rage, des
centaines et des centaines de soldats français sont morts malgré l’appui de
l’aviation. Si Yahia a tenu tête aux forces françaises, la 8e armée de
Maison-Carrée à El-Harrach (Alger) a été dépêchée sur les lieux du combat.
Si Yahia disait à ses moudjahidine «Tenez bon courage ; tirez, tirez, Allah
Akbar». Tard, le soir l’assaut a été lancé contre la section de Si Yahia
sauf 4 moudjahiddine ont pu s’en sortir et ils ont sauvé la mitrailleuse
24/29 qui tenait beaucoup à cœur à tous les maquisards. Plus de 30
moudjahidine sont morts héroïquement avec leur commandant Si Yahia. Allah
yarham echouhada. Ainsi, je participe d’une façon ou d’une autre à travers
mon témoignage sur les récits de lutte de notre peuple pendant la révolution
du 1er Novembre 1954, à l’écriture de l’histoire et à retrouver les
sentiments qui ont animé le peuple algérien, à savoir l’amour de la patrie,
l’abnégation et le sens du sacrifice. Aujourd’hui, plus que jamais, je reste
convaincu que l’enseignement objectif de l’histoire de notre pays et du
combat libérateur de notre peuple contribuera à maintenir vivace la mémoire
de nos martyrs qui ont donné leur vie pour que vive l’Algérie libre,
indépendante, fraternelle et unie. Quant à moi témoin vivant de la
révolution du 1er Novembre 1954, je n’ai fait que mon devoir et je rends un
grand hommage aux familles de nos chouhada et au peuple algérien.
Ould El Hocine Mohamed Cherif Ancien officier de l’ALN.
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