ALI LOUNICI ET BOUALEM
OUSSEDIK, anciens officiers de l’ALN: «Nous rêvions d’une
indépendance souriante»
L'Algérie célébrera, la semaine prochaine, comme chaque année, le 19 Mai,
Journée nationale de l'étudiant. En ce 50e anniversaire du déclenchement
de la révolution nationale, il nous a paru opportun de nous entretenir
avec Ali Lounici et Boualem Oussedik, deux des illustres devanciers de ces
milliers de lycéens et universitaires qui ont ouvert le chemin à ce qui a
constitué l'élite de l'Algérie combattante. Après avoir, dans une première
partie (voir El Watan du 29 avril 2004), évoqué avec eux ce qu'ils ont
appelé la période héroïque ou romantique de la guerre de libération et la
terrible épreuve des purges, ils poursuivent leur troublant récit, tranche
de l'histoire vivante de ce pays.
Ne
pensez-vous pas qu'il était arrivé un moment où l'intérieur ne pouvait
plus assumer la primauté sur l'extérieur du fait de la disparition de ses
élites, laminées par les combats et les purges ? L'intérieur n'était-il
pas réduit à un champ de bataille, théâtre des opérations des djounoud que
certains croyaient «incapables» d'affirmer la primauté telle que proclamée
par le Congrès de la Soummam ?
Boualem
Oussedik : Je tiens à préciser que le
climat créé par les purges dans les maquis n'avait en aucun cas entraîné
la démobilisation des combattants. Particulièrement dans la Wilaya III
qui, pourtant, avait été meurtrie par le phénomène. Je me souviens que
j'avais trouvé aide et assistance dans la région de Béjaïa de la part des
djounoud et officiers. L'intérieur a été effectivement considérablement
affaibli mais il est resté invaincu.
Ali Lounici
: Très vite nous avions pris
conscience, enfin quand je dis «nous» je pense plutôt à quelques avisés,
nous avions donc pris conscience que le combat se déroulait beaucoup plus
à l'extérieur. Un Krim Belkacem, une fois qu'il a quitté la Wilaya III est
devenu un homme qui devait mener politiquement le combat. Nous avions pris
conscience du moins, faut-il le répéter les plus avertis parmi nous dans
la Wilaya la IV, que nous étions ceux auxquels était dévolue la charge
d'entretenir le feu pour permettre aux politiques de l'extérieur de
maintenir la revendication essentielle qui était l'indépendance nationale
bien sûr. Oui, il faut le dire, c'est dur, certes, mais nous étions de la
chair à canon.
Boualem
Oussedik : Les conditions pour remporter
une victoire militaire sur le terrain étaient loin d'être réunies. La
lutte armée ne pouvait servir qu'à soutenir et à argumenter les combats
politique et diplomatique et les mener à leur terme.
Mais il y a eu comme un second souffle. D'où vous est venue cette énergie
pour poursuivre votre combat ?
Boualem
Oussedik : J'ai personnellement été sauvé
par Frantz Fanon qui m'a prodigué conseils et soins. Il m'a requinqué car
psychologiquement, une fois à l'extérieur comme beaucoup, nous étions
déglingués.
Ali Lounici : Il y avait aussi les ambitions
politiques. Nous avions, nous aussi, notre vision de l'Algérie
indépendante. Nous avions notre rêve politique à la veille de 1962.
Boualem
Oussedik : Si Ali, tu t'es rendu compte en
voyageant de la remarquable dimension internationale du combat des
Algériens. Te souviens-tu quand le président Ahmed Sékou Touré te
cherchait pour prendre une photo avec tous les ambassadeurs accrédités à
Conakry (Guinée) y compris… l'ambassadeur de France ? Ou alors, quand nos
amis les Maliens avaient organisé des festivités de près d'un mois pour
fêter l'Algérie combattante ? Pour tous les Africains, l'Algérie
représentait un espoir.
Ali Lounici : Sekou Touré, sachant que je
représentais l'Algérie entretenait avec moi des relations d'amitié.
L'ambassadeur des Etats-Unis, lui-même qui n'avait pas obtenu de
rendez-vous avec le chef de l'Etat guinéen m'avait demandé d'intercéder en
sa faveur pour une rencontre. Il m'arrivait souvent de partager avec Sékou
Touré un bol de riz à la présidence. Les événements africains de l'époque,
nous les avions vécus avec notre passion d'officiers de l'ALN. La cause
des Africains était la nôtre. Je me souviens que j'étais avec Si Boualem
au Mali et que nous étions en contact avec les Mauritaniens qui
préparaient leur indépendance nous leur avions donné des cours d'éducation
politique et une formation militaire. Il y avait certes la main de Fanon.
Mais il disait que lorsque nous nous regardions dans une glace, nous nous
voyions noirs, Africains. Aussi avions nous été sévèrement marqués
politiquement par l'affaire Lummuba. Nous voyions se dérouler sous nos
yeux les manipulations d'un Occident affairiste qui a sacrifié sur l'autel
de ses intérêts, ce grand leader africain.
Et
le changement est intervenu…
Ali Lounici
: Je pense que jusqu'en 1957,
période d'épanouissement des maquis dont nous avions parlé précédemment,
j'aurai fait le sacrifice de ma vie avec bonheur et joie. J'allais au feu,
j'étais même téméraire. Mais après j'ai commencé peu à peu à prendre
conscience de l'évolution de la situation. Par la force des choses nous
étions devenus, comme je viens de le dire, de la chair à canon, l'agneau
sacrificiel, pour des gens qui à l'étranger menaient le «vrai» combat
politique pour l'indépendance …Mon abnégation n'était plus la même.
Le
doute s'est-il installé ?
Ali Lounici : Oui. Je l'avoue, je réfléchissais par
deux fois avant d'aller me faire tuer dans une embuscade. Nous étions à
l'intérieur et dans un gourbi avec un groupe de djounoud. Il y avait un
transistor qui grésillait dans un coin. A un moment, il y a eu un flash
d'informations qui annonçait la mort de Abane Ramdane «au champ
d'honneur». Je me souviens toujours du commandant Omar Oussedik qui se
réchauffait près du feu et qui m'avait dit, après quelques minutes de
réflexion, en me tendant la main à serrer comme à son habitude «Je mets ma
main au feu qu'il a été tué par les nôtres.» Si M'hamed qui était là aussi
lui avait rétorqué «Allez Omar assez, on ne peut y souscrire, c'est
invraisemblable !» Moi ça m'avait considérablement perturbé. C'était la
période que nous avions qualifiée de «romantique». Tout marchait pour le
mieux. Et apprendre comme ça, tout de go que les nôtres s'entretuaient.
Quel coup de massue ! Si M'Hamed, avait beau m'expliquer «Oui tu vois,
mais tu comprends»… En vain. Il m'avait, je me rappelle, dit une phrase
que j'ai retenue toute ma vie : «Ce ne sont pas les problèmes qui sont
trop grands, ce sont les hommes qui sont trop petits.»
Etes-vous en train de me dire que les politiques ont été dans l'incapacité
de maintenir vivace l'esprit de sacrifice qui vous animait auparavant ?
Ali Lounici : Et voilà… Et voilà.
Boualem
Oussedik : C'est à l'extérieur que tout se
passait. Nous le sentions très bien. C'est là-bas que se déroulait le
combat politique décisif. Nous en étions conscients et convaincus.
La
révolution ne risquait-elle pas de vaciller, de tomber ?
Ali Lounici
: Aussi longtemps qu'on est dans le
combat, même quand on prend conscience que tout est en train de basculer
et risque de s'écrouler, on ne mesure pas ce danger. C'est à l'extérieur
qu'on prend la mesure que tout risque de s'effondrer quand on rencontre et
qu'on voit ces nuées d'opportunistes. La menace venait d'eux.
D'où sortaient tous ces gens ? Quel était leur statut ?
Ali Lounici : Ils étaient, en général, issus
d'anciens courants politiques. Ils grenouillaient autour des hauts
responsables leur proposant leurs services. Il m'a été donné d'en
rencontrer au Caire, autour de Krim Belkacem, alors qu'il était ministre
de la Guerre du GPRA, avec lequel j'étais très lié d'amitié. Il prenait
parfois un malin plaisir à leur donner le change et à les faire marcher,
me prenant à témoin, histoire de voir jusqu'où ils pousseraient le
ridicule.
Boualem
Oussedik : Les conditions de vie à
l'extérieur étaient si différentes de celles que nous avions connues dans
les maquis, bien évidemment. A une époque, nous allions rendre visite à de
jeunes étudiants avec lesquels nous échangions quelques propos. Nous
recevions leurs doléances, nous leur prodiguions des conseils et
recommandations. L'un d'entre eux nous avait dit un jour qu'il fallait
«continuer le combat jusqu'à la dernière goutte de sang». En voilà un,
nous étions-nous dit, qui est bien généreux avec le sang des autres. Nous
lui avions donc suggéré d'interrompre ses études pour rejoindre les maquis
qui avaient besoin de cadres. C'était bien sûr une plaisanterie. Mais il a
failli perdre la raison…On ne vivait pas les mêmes réalités selon qu'on se
trouve à l'intérieur du pays ou à l'extérieur.
Pourtant, il y a eu la deuxième zone autonome. N'avez-vous pas été animés
du même enthousiasme que celui que vous avez connu durant la période
romantique ?
Ali Lounici : La zone autonome de 1962 n'est pas née
d'une volonté politique ou d'une stratégie politique. Des cerveaux ne se
sont pas penchés sur la question pour conclure à la nécessité de créer une
zone qui ferait tache d'huile sur le reste du territoire algérien. Non.
Elle est née d'un conflit. Lorsque nous sommes revenus de l'extérieur, le
commandant Azzedine, Omar Oussedik, Boualem Oussedik, et moi-même, dans la
Wilaya IV, les nouveaux chefs n'ont pas voulu de nous. Nous étions
pourtant tous d'anciens responsables à un haut niveau de cette wilaya. Ils
étaient sans doute convaincus que nous étions de retour pour leur prendre
leurs places, alors que l'indépendance pointait à l'horizon. De dépit,
nous sommes retournés à Alger et avec un ordre du GPRA, nous avons recréé
la Zone autonome.
Le
GPRA était donc au courant des rivalités ?
Boualem
Oussedik
:
C'est le GPRA qui a contacté Azzedine et qui nous a dit de rentrer via le
réseau Keramane.
Ali Lounici : En réalité, nous sommes rentrés un peu avant les Accords
d'Evian. Nous étions en mission. Pourquoi ? Dans notre stratégie, car nous
faisions aussi de la politique. Nous n'étions pas si naïfs… Pas des
enfants de chœur. Nous avions des perspectives. Nous voulions amener le
GPRA au pouvoir. Vous allez me dire pourquoi ce choix ? Rassurez-vous ;
nous ne vouions pas un culte pour M. Benkhedda, le président du GPRA. Dans
notre analyse ni les wilayas de l'intérieur ni les personnes qui étaient à
l'extérieur ne pouvaient réellement poursuivre le combat. Nous nous étions
dit que Benyoussef Ben Khedda était le plus proche de la démocratie. Car
figurez-vous que nous en parlions déjà à cette époque. Notre objectif
était d'amener le GPRA et son président à assurer une transition et à
charge pour lui de prendre la décision d'organiser un congrès national du
FLN qui allait permettre l'émergence d'une direction démocratique pour le
pays et l'instauration du multipartisme, d'une assemblée élue
démocratiquement. Nous pensions, en 1962 que le FLN devait achever sa
mission avec un Congrès. Voilà ce que nous voulions.
Boualem
Oussedik : Je crois qu'il ne faut pas
oublier que le FLN est né d'une crise du mouvement national. De même que
le CNRA a été incapable de dégager des perspectives. Je n'en veux pour
illustration que les divisions et querelles qui ont surgi dès après la
proclamation de l'indépendance. Ces divisions datent du mouvement
national. Cette société a fait, sur elle-même, un effort immense pour
parvenir à l'indépendance nationale. Il aurait fallu, une fois cet
objectif atteint, des gens capables d'apporter des idées, des gens
imaginatifs. Cela n'a pas été le cas. Ni du côté du GPRA ni d'ailleurs. Je
ne connais pas d'autre exemple sur terre où une institution comme le CNRA
a terminé sa réunion sur des querelles de personnes après quelques mois.
Ali Lounici : Ils n'ont même pas terminé…
Boualem
Oussedik : C'est vrai, le CNRA n'a pas clos
ses travaux. La charte de Tripoli a été rédigée et expédiée en quelques
minutes, les participants ne l'ont même pas lue lui préférant les
histoires de personnes. Je persiste à soutenir que le contexte était
négatif.
Cette analyse était partagée par tous ?
Ali Lounici : Avec Azzedine, Omar, Boualem, Bouchaffa
et moi, il y avait je dirai une certaine unité politique dans le groupe en
ce sens que nous étions tous de gauche ou du moins nous regardions vers la
gauche, nous étions politisés, mais nous étions…
Marxiens plutôt que marxistes ?
Ali Lounici
: Bien sûr, pour nous la priorité,
c'était l'intérêt du peuple algérien et pour cette mission, l'intérêt du
peuple d'Alger. Nous y avons trouvé une dynamique, c'était celle de la
Révolution algérienne que nous avons retrouvée dans les rues d'Alger. La
mobilisation des énergies a été rapide, facile. Cela n'était pas tellement
dû à notre sagacité ni à notre intelligence. Les gens nous ont
naturellement aidés. Nous avions quand même apporté notre touche
intellectuelle. A vrai dire nous réalisions un fantasme. Etudiants et
universitaires, nous étions influencés par la Commune de Paris, les écrits
de notre compagnon Frantz Fanon qui, faut-il le rappeler, était l'ami de
Omar Oussedik et de Azzedine. Ce qui fait que nous avions imprimé à notre
action un caractère populaire. Et nous exercions en toute démocratie. A
commencer par l'élection des responsables.
Comment s'est effectuée cette mutation du statut de combattant à celui
d'administrateur d'une ville en guerre contre l'OAS ?
Ali Lounici : Il faut dire que nous étions plus ou
moins préparés à gérer en tant qu'officiers de l'ALN, nous n'avons pas
fait que guerroyer, particulièrement en ce qui concerne Boualem et moi.
J'étais responsable politico-militaire d'une zone. C'était déjà
administrer une population, assurer l'intendance, les services de santé.
Nous accomplissions, au maquis déjà, ce genre de tâches. Ainsi, Si Boualem
s'occupait de la presse et de la politisation. Un tract devait avoir son
impact sur les populations, ses répercussions dans les rangs des
combattants. Sa charge était de maintenir à un bon niveau le moral des
troupes. En arrivant à Alger, nous étions donc préparés. Le dénominateur
commun à toute l'équipe était que nous étions tous passés par l'extérieur.
Nous avions donc tous exercé des responsabilités politiques. De plus, nous
avions vécu les premières années des indépendances africaines. Lorsque
nous sommes revenus à Alger, nous y avons trouvé une dynamique qui était
celle de notre peuple. Prenons l'exemple du secteur de la santé. Il faut
préciser que nous avions créé nos propres structures et que les Algériens
n'allaient pas recevoir des soins dans les hôpitaux d'Alger qui étaient
souvent visités par les commandos de l'OAS qui achevaient les blessés et
les malades. Nous avions beaucoup de blessés, une quarantaine par jour
environ et parfois plus qui venaient de tout Alger. Nous avions non
seulement des problèmes d'intendance et de logistique mais aussi
d'organisation. C'est le peuple qui, sous la houlette d'un seul médecin à
Belcourt, s'est organisé en procédant au recensement du groupe sanguin des
citoyens sur une fiche qui portait le rhésus et l'adresse du donneur.
Ainsi lorsque nous avions besoin d'un groupe, nous nous adressions
directement aux personnes concernées. On ne peut pas dire que c'est nous
qui avions mis en place une telle organisation. Nous n'en étions que les
chefs d'orchestre.
Boualem
Oussedik : Il en était de même au plan
culturel. Je n'avais fait que suivre. Ainsi les citoyens avaient monté un
orchestre et organisaient tous les soirs des concerts à travers la ville,
alors que l'OAS était déchaînée. Je ne pouvais pas faire cela. Les
organisateurs venaient m'avertir sans plus. J'avais un jour demandé à El
Hadj M'Hamed El Anka une chanson pour célébrer l'indépendance. C'est ainsi
qu'est née El Hamdou li Llah ma bqach listiaâmar fi bladna. Te souviens-tu
Si Ali, El Hadj m'avait dit : «C'est le plus beau cadeau que tu puisses me
faire !» Il a alors organisé un concert sur les hauteurs d'Alger qui a
rassemblé des dizaines de milliers de personnes. «Ca vaut tout l'or et
tout l'argent du monde», m'avait confié ce soir-là ce maître du chaâbi. Je
veux dire en cela qu'il y avait des circonstances favorables qui ont
permis ces élans de solidarité et de créativité.
N'y a-t-il pas eu en 1962 une démission collective des cadres par peur
d'une tragédie, d'une «congolisation» pour reprendre le néologisme des
journalistes de l'époque ?
Ali Lounici
: Je crois que chez nous, nous
avions ressenti une espèce de lassitude dont nous avions parle il y a
quelques minutes. Une fatigue somme toute normale après sept années et
demi de guerre. Et nous avions aussi ce sentiment, juste après la Zone
autonome, que dans nos analyses nous ne traduisions pas avec toute la
fidélité nécessaire la réalité du peuple algérien, même si nous avions
combattu à ses côtés et partagé ses souffrances… Pour nous, l'Algérie
devait déboucher sur une indépendance souriante. Nous aurions pu gérer des
problèmes qui se posent à nous aujourd'hui dans la foulée de la liberté
recouvrée. Nous aurions pu nous asseoir autour d'une table entre
Algériens, dans la fraternité retrouvée et discuter. Nous le faisions au
maquis. Par exemple, nous parlions de la question de tamazight en 1956.
Nous en débattions en toute liberté.
Boualem
Oussedik : Oui, nous en parlions avec Le Dr
Belarbi, docteur en économie, Arslane, amoureux éperdu de la langue arabe,
Zemirli, et j'en passe et des plus brillants esprits qu'il m'a été donné
de rencontrer. Nous discutions, nous écoutions les avis des uns et des
autres. Aujourd'hui, nous ne sommes plus capables de parler d'une culture
nationale qui transcende tous les faux débats actuels …
N'y avait-il pas une tendance à idéaliser le peuple plutôt que de le
comprendre dans ses contradictions ?
Ali Lounici : En 1962, la Wilaya IV a terminé sur les
genoux il y avait en tout et pour tout comme djounoud et officiers
peut-être pas plus de 5000 hommes, et je crains d'exagérer. Ce chiffre il
a été gonflé avec ce qu'on avait appelé les «marsiens», autrement dit ceux
qui se sont engagés après le cessez-le-feu du 19 mars ou un peu avant. On
a distribué tenues et armes. Et on a fait défiler dans les rues des gens
qui n'avaient pas participé à la révolution. Car la révolution, c'est la
mentalité formée. C'est le combat avec et pour le peuple. C'est cette
adhésion avec la souffrance du peuple. Or sont arrivés les prébendiers qui
voulaient des appartements, des villas, des dépôts, des affaires et ainsi
de suite. Nous n'étions pas dupes. Mais que faire ? Le rapport de force
n'était pas en notre faveur y compris au CNRA. Oui y compris au sein du
CNRA où il y avait la même projection.
Amers ?
Ali Lounici
: Non. Je pense que l'erreur
d'analyse que nous faisions à l'époque était de penser que le potentiel
révolutionnaire accumulé allait permettre de reprendre le dessus. Que la
Révolution allait s'imposer finalement. Que la période de régression que
nous traversions était passagère, que les choses allaient reprendre leur
cours normal. Car, à nos yeux, il était impossible qu'une aussi grande
œuvre pût se perdre et que le pays fût géré de la façon que nous
connaissons. «Il va y avoir un sursaut», nous disions-nous. C'est ainsi,
par exemple, que nous avions encouragé la création du PRS par Mohamed
Boudiaf. Nous étions convaincus que ceux qui avaient mené le combat
allaient former une force. On se faisait des illusions. Car nous aurions
pu partir à l'étranger, si nous étions convaincus de l'irréversibilité de
la situation 1962. Même, quand Boumediène a fait son coup d'Etat, je me
souviens que nous nous étions réunis et que nous avions rédigé un
communiqué. Nous étions contre Ben Bella, mais nous pensions que les
portes du changement allaient s'ouvrir.
Cependant…
Ali Lounici : J'ai toujours de l'espoir. Les
générations qui montent le portent en elles.
Boualem
Oussedik : Je considère tout ça comme un
miracle. Si Ali, tout est parti d'un coup de fusil. Un coup de fusil de
chasse.
Par
Boukhalfa Amazi |