Rabah Bitat
Un
révolutionnaire au long parcours
Par Aïssa
Kechida
En mars 1950, les services de la
police française découvrent avec stupeur l’existence d’une structure
paramilitaire au niveau national relevant du parti PPA-MTLD. Cette
trouvaille résulte d’une tentative avortée d’un enlèvement d’un
militant responsable de l’Organisation spéciale (OS) à Tébessa
soupçonné d’avoir flanché.
Un commando
dirigé par Didouche Mourad n’a pu maîtriser l’élément incriminé qui
réussit à s’enfuir. Ce dernier se rend à la police française et
divulgue un secret qui était bien entretenu jusque-là. Une vaste
opération fut déclenchée à travers tout le pays, c’était la chasse
aux militants du parti soupçonnés d’être des activistes de l’OS. Une
année après ce cataclysme, en 1951, la tension avait quelque peu
baissé et la répression sur le parti diminuée. La direction du
PPA-MTLD décide alors la dissolution de cette structure, considérant
qu’elle avait échoué dans sa mission. Elle s’attelle à préserver ses
militants qui étaient recherchés et dispersés : Rabah Bitat en
faisait partie. Il fut décidé de le mettre à l’abri avec quelques
compagnons. La direction recommande à Mustapha Ben Boulaïd, qui
était responsable de la région des Aurès, d’héberger certains
fugitifs qui avaient réussi à échapper aux rafles. Ben Boulaïd
installe Bitat auprès de sa tribu les Touabas à Ichmoul. Ses
compagnons Abdeslam Habachi, Lakhdar Bentobal, Zighout Youcef, Amar
Benaouda, Slimane Barkat et Abdelbaki Bekhouche Si El Mekki sont
sécurisés auprès d’autres tribus aurassiennes. En 1952, le parti
intègre tous les irréguliers recherchés qui n’avaient pas été
arrêtés. A certains, il leur confia la responsabilité de chef de
daïra dans les structures de l’Organisation politique du MTLD (OP).
Bitat est envoyé avec Habachi vers Alger. Je les ai hébergés pendant
quelques mois. Bitat était tellement éprouvé physiquement qu’il
commença à avoir des problèmes pulmonaires. Il fallait le soigner,
je l’ai amené chez le médecin du parti, le docteur Omar Benhabilès
qui le prit en charge médicalement. Au bout de quelques semaines, sa
santé s’est sensiblement améliorée, il pouvait reprendre ses
activités. Il est envoyé à Médéa comme chef de daïra, ensuite
affecté dans les régions de l’Oranie. A Témouchent, il lui est
arrivé un accident avec la police. En déplacement, accompagné de
Larbi Ben M’hidi alors qu’ils entamaient une visite de contrôle des
cellules du parti, ils furent interceptés à leur descente du car à
la station publique. Ils ont été appréhendés par la police et amenés
pour une vérification d’identité au commissariat. Les deux
compagnons gardèrent la tête froide, leur bonne contenance rassurera
quelque peu les policiers qui doutèrent de leur prise : si bien
qu’ils laissèrent les deux militants seuls dans le hall du
commissariat et pénétrèrent à l’intérieur des services pour vérifier
les documents d’identité. C’est à ce moment-là que Rabah et Larbi
profitèrent du manque de vigilance et s’éclipsèrent. Quand l’alerte
fut donnée, les deux fuyards étaient loin du danger ; ils rentrèrent
à Alger. Après cette mésaventure, le parti gèle leurs activités
momentanément comme de coutume : c’était la règle, les militants
observent dans ces cas un temps d’inactivité. La rétribution que
Bitat percevait du parti n’était pas conséquente. Il voulait
travailler pour améliorer sa situation financière. Il sollicite
alors des amis et les chargea de lui trouver un emploi par le biais
de militants. Abdelkader Sebbagh de Raïs Hamidou, tourneur ajusteur
spécialiste dans l’entreprise OTIS-PIF qui fait le montage et la
réparation des ascenseurs, lui décroche un emploi avec lui. Et comme
Bitat avait effectué un stage d’ajusteur dans un Centre de formation
professionnelle à Constantine, il n’avait pas eu de difficulté à
être embauché. Je me rappelle d’une anecdote, un ami de passage à
Alger me rendait visite à la rue Barberousse (Casbah d’Alger), il
rencontre Bitat dans mon magasin et s’élance pour l’étreindre et lui
témoigner son affection. Bitat lui tend la main en le tenant à
distance, feignant ne pas le connaître et se retira aussitôt. Au
départ de Bitat, cet ami ne comprenait pas son attitude dédaigneuse,
il m’affirmait qu’il le connaissait bien, il était assis sur le même
banc que lui et qu’il était devenu son compagnon durant toute la
durée du stage. Bitat étant recherché, il ne fallait pas qu’il soit
localisé ; l’activité clandestine exigeait de nous la prudence. Cela
m’obligeait à fabuler pour le convaincre qu’il se trompait sur le
bonhomme et le confondait avec quelqu’un d’autre, et que le nom
qu’il avançait n’était pas le sien. J’ai réussi à lui faire admettre
qu’il peut y avoir des ressemblances « c’est son sosie » lui
dis-je ! Je lui fis savoir qu’il est originaire de l’Algérois. Après
l’indépendance, à chaque rencontre, il me rappelle ce souvenir et me
dit que je l’avais dérouté. Bitat quitte l’entreprise OTIS-PIF pour
aller exercer des travaux agricoles à Bouguerra (ex-Rovigo), Regam
Zouaoui, ancien militant ingénieur en agriculture instructeur au
niveau du centre de formation agricole dans cette ville, l’a recruté
comme conducteur de tracteur et l’a mis au contact des travailleurs
de la terre : Bitat fit son devoir de militant ; mission dont il
assuma la charge consciencieusement. Il était apprécié et estimé par
ces ouvriers ruraux pour la plupart, tant par ses qualités humaines
que ses talents de prédicateur. Bitat revient de nouveau à Alger, il
retrouve chez moi Ben M’hidi, Didouche et rencontre beaucoup de ses
compagnons. Il prend attache avec Boudiaf et Ben Boulaïd ; ce
dernier venait souvent à Alger prendre contact. Bitat prenait des
consignes auprès de Boudiaf. Il ne le quitta pas pendant plusieurs
semaines avant le départ de ce dernier pour la Fédération de France,
muté par le parti vers la fin de l’année 1952. Sans l’activité
politique, Bitat commençait à s’ennuyer, cette passivité lui pesait,
il passait ses journées dans mon magasin. Lorsqu’un jour je lui
annonçais que j’allais à une rencontre intéressante, en tant que
scout, il tint à m’accompagner. Nous avons assisté au centre de Sidi
Ferruch à un colloque réunissant les Algériens nationalistes et les
Européens progressistes, au cours duquel les débats ont eu pour
objectif la création de la Jeunesse algérienne pour l’action sociale
(JAAS). Bouzouzou Mahmoud, morchid général des SMA avait présidé en
alternance les séances de travail avec le professeur Mandouze,
recteur de l’université d’Alger. Louanchi Salah représentait le
parti du MTLD, Gaïd Tahar était le délégué des étudiants musulmans,
Omar Lagha président du mouvement scout assisté de Mahfoud Kaddache
commissaire national et cheikh Abdelhakim morchid national
représentaient les Scouts musulmans algériens.
Crise à l’hotizon
Le professeur Pierre Chaulet avait
représenté les libéraux, accompagné des professeurs Rim et Jeannine
Belkhodja. Les représentants des étudiants catholiques, les Scouts
de France (SDF) et les Eclaireurs de France (EDF), complétaient
l’assistance. L’un des principaux thèmes abordés, entre autres,
était la sensibilisation des Européens autour du fait national
algérien. Il fallait convaincre les libéraux à s’engager dans le
mouvement pour le recouvrement de la souveraineté nationale. A cette
occasion, Bitat prit la parole. Son intervention avait surpris et
fit tourner la tête à tout le monde. Pour résumer, il demandait aux
Français de se définir actuellement avant qu’il ne soit trop tard.
Après cette intervention, les commentaires des invités allaient bon
train, il y a une autre réalité que vivent les Algériens du deuxième
collège. Les délégués européens se sont rendu compte qu’ils étaient
totalement déconnectés et ignoraient beaucoup de choses sur le vécu
des Algériens. En avril 1953 s’est tenu le Congrès du PPA-MTLD.
Cette importante rencontre consistait à établir un bilan des
activités et élaborer une nouvelle conception politique du futur
qu’on résume ainsi : Parmi les principales décisions prises :
l’application
d’un centralisme démocratique ;
la
continuité d’une politique électoraliste par une participation
active du parti aux élections municipales d’avril 1953.
dans
ses résolutions, le Congrès ne fait pas mention de la ligne
révolutionnaire et occulte la démarche pour l’engagement dans le
processus de la préparation de la lutte armée, stratégie qui était
arrêtée lors du Congrès de 1947. Les éléments qui avaient acquis une
formation militaire attendaient une autre approche avec l’espoir
d’un engagement pour l’action directe. Ils ont été déçus et très
mécontents, surtout que la conjoncture politique du Maghreb s’y
prêtait. Les militants avaient l’espoir de rejoindre dans le combat
armé les Tunisiens qui avaient déclenché après l’arrestation de leur
leader Bourguiba le 18 janvier 1952, et les Marocains qui avaient
organisé de grandes manifestations et des actions armées suite à la
déposition le 20 août 1953 du roi Mohammed V. Les conclusions de ce
Congrès avaient donné des justificatifs à Messali qui était déjà
mécontent pour dénoncer la pratique utilisée par les dirigeants qui
ont réussi à procéder à son isolement. Son autorité avait diminué ;
il s’aperçoit qu’il ne pouvait plus avoir d’emprise ni de mainmise
sur le parti. Le signal de la crise est donné lors d’une conférence
organisée par la Fédération de France initiée par Messali, les
membres du comité central sont dénoncés et sa direction critiquée.
En mars 1954 : Boudiaf qui était responsable au niveau de la
direction de la Fédération de France rentre en Algérie, porteur
d’une déclaration « Appel à la raison » rédigée par trois
responsables : Abdelmalek Benhabiles, Belkacem Radjef et Ahmed
Mahsas, destinée aux militants, leur demandant d’adopter dans ce
conflit une position qu’ils appelaient un neutralisme positif,
c’est-à-dire le boycott de la direction pour l’immobiliser. Boudiaf,
en concertation avec Bitat, Didouche, Ben Boulaïd et Ben M’hidi,
tente le regroupement pour une troisième voie « le neutralisme
actif » qu’il canalise avec la participation d’autres responsables
afin de sensibiliser les militants à la base et constituer une
troisième force. Ils créent le Comité révolutionnaire d’unité et
d’action (CRUA) avec Bitat et ses compagnons en collaboration avec
Dekhli Bachir, chef de l’organisation, et Bouchbouba Ramdane,
contrôleur général du parti. Ils lancèrent un courant d’opinion par
l’édition d’un bulletin d’information Le Patriote. Bitat, avec
l’ensemble des militants disponibles, engage une campagne de
clarification sur nos positions et définit le but de cette
initiative qui tendait à faire pression sur les dirigeants des deux
tendances centraliste et messaliste pour tenir un congrès de
réunification et arrêter une stratégie pour la préparation d’une
lutte armée. Le 25 juin 1954 : Bitat est parmi les organisateurs de
la réunion des 22 tenue à El Madania dans le domicile de Derriche
Lyès. Le motif de cette rencontre consiste à faire le point de la
crise et étudier la situation politique en général pour enclencher
le processus révolutionnaire par la lutte armée. Le 28 juin 1954 :
Bitat est choisi par Boudiaf pour être dans le comité des cinq
dirigeants réunis chez moi au 6, rue Barberousse à la Haute Casbah.
En juillet 1954, un contact est établi avec la délégation
extérieure, représentant le Comité du Maghreb arabe au Caire composé
de Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider et Hocine Aït Ahmed. Bitat avait
fait un déplacement en Suisse à Berne pour un rendez-vous avec Ben
Bella à l’hôtel Symplon, une des missions importantes qui visait à
remettre une grosse somme d’argent pour l’achat d’une cargaison
d’armes auprès d’un armateur grec qui disposait d’un caboteur. Cette
activité intense des éléments du CRUA fait monter la colère des
messalistes qui se voyaient en perte de vitesse et dépassés. Prenant
conscience de l’influence qu’exerçaient les membres du CRUA sur les
militants, les messalistes dépêchèrent un commando en vue d’agresser
Boudiaf et Bitat qui revenaient d’une soirée passée avec Abdelhamid
Mehri. Mourad Boukchoura et moi les avons accompagnés. Les
messalistes nous tombèrent dessus à la rue du Divan à Alger (face à
la moquée Ketchaoua) et nous malmenèrent, Bitat reçut beaucoup de
coups de poing sur sa poitrine fragile. Les tentatives de
regroupement décidées par le comité des cinq ont pu drainer beaucoup
d’éléments susceptibles d’adhérer à ce projet de la troisième force,
notamment les militants des régions montagneuses, ceux des Aurès, de
la Kabylie et les Hauts-Plateaux ainsi que certains responsables
crédibles des deux tendances, messaliste et centraliste. L’Etat-major
de la révolution se forme Les contacts préliminaires avec les
responsables de la Kabylie avaient débuté en mai 1954, initiés par
El Hachemi Hamoud en vue de leur faire rejoindre le groupe des
neutralistes. Mais la conclusion de l’accord n’avait abouti qu’au
mois d’août 1954 au cours d’une réunion organisée par Naït Merzoug
Abderahmane à la rue du Chêne à la Basse Casbah à Alger, où dix
membres influents avaient assisté : cinq responsables de chaque
clan. Bitat a participé à cette importante rencontre de regroupement
avec les responsables maquisards de la Kabylie, représentés par Krim
Belkacem et celui du CRUA par Mohamed Boudiaf. Cette entente a
permis l’intégration de Krim à la direction du comité des cinq qui
devient comité des six, Bitat assiste le 23 octobre 1954 à Raïs
Hamidou à Alger chez Boukchoura Mourad à la dernière réunion où fut
décidé le sort de tout un peuple engagé dans une lutte féroce pour
le recouvrement de sa souveraineté. Les six forment un état-major
général de la révolution et se mettent d’accord pour une gestion
collective avec à la tête un coordinateur. Ils arrêtent un programme
par la publication de la plate-forme politique.
La
proclamation du 1er Novembre au nom du FLN
L’appel
au peuple avec le sigle de l’ALN. Ces deux documents traduisent la
constitution d’une structure, une politique, l’autre militaire et un
découpage géographique en six zones qui sont devenues après le
Congrès de 1956 des wilayas. Les préparatifs concernant la capitale
échurent à Bitat, il composera deux cellules ; la première
concernera les groupes de choc armé chargés de commettre des
attentats pour provoquer un choc psychologique au sein de l’opinion
publique. Cette responsabilité est confiée à Bouadjadj Zoubir. La
seconde est celle de la logistique, cette dernière est sous la
responsabilité directe de Bitat, elle était déjà en activité et ses
éléments furent reconduits. Dans la conception de Boudiaf, cette
structure doit faciliter le bon fonctionnement des réseaux dont les
missions principales sont les suivantes : 1 - Prévoir des gîtes pour
héberger les recherchés 2 - Accueillir les responsables venant de
l’intérieur et de l’extérieur du pays 3 - Assurer les liaisons, les
relais, les boîtes aux lettres 4 - S’occuper de la diffusion du
bulletin d’information et des tracts. Les deux structures sont
coiffées par Bitat, chef de la zone V.
Le 1er
Novembre 1954 : date fatidique de l’événement historique de
l’Algérie contemporaine, Bitat s’est donné pour mission l’attaque de
la caserne Bizot à Blida avec le concours de Si Ahmed Bouchaïb. Est
impliqué dans cette opération un militaire algérien du nom de Khoudi
Saïd. La deuxième cible est la caserne de Boufarik, elle est confiée
à Souidani Boudjemaâ son adjoint et à Aouamrane, leur complice est
un parent de Lakhdar Bentobal, faisant son service militaire au sein
de cette caserne. La collaboration de Amar Aoumrane, l’adjoint de
Krim dans cette action avait pour objectif la récupération des armes
destinées en partie à alimenter la zone III qui était démunie. De
retour à Alger, après l’attaque de la caserne, Bitat a retrouvé
l’organisation décapitée, toute sa composante est en prison. Il
reprit difficilement la restructuration avec l’aide de quelques
anciens militants dont Mohamed Benmokadem, Yacef Saâdi, Berrazouane
Mahiedine et le concours de mon neveu Kechida Abdellah son agent de
liaison qui connaissait tous les éléments qui avaient transité par
la boutique atelier où j’avais exercé le métier de tailleur dans
différents endroits à Alger. Se sont joints à lui nos deux
compagnons libérés après un court séjour à la prison de Serkadji,
Naït Merzoug Abderrahmane et Messaoudi Abdelouahed. Le concours de
Abane Ramdane, à sa sortie de prison en février 1955, lui a été
précieux, mais pour un délai très court, puisque Bitat est arrêté le
16 mars 1955. Il a fait l’objet d’un traquenard, se fiant à un vieux
militant qui avait mal tourné et pourtant participé au déclenchement
du 1er Novembre 1954 à Biskra. Cet élément devait constituer avec
d’autres la première direction de la Wilaya VI. Bitat est arrêté par
la DST à Bab Djedid, au café El Arich dans la Haute Casbah d’Alger,
se sachant détenteur de plusieurs secrets, il tentera à deux
reprises de mettre fin à ses jours. La vigilance des services
français lui évita la mort de justesse, mais ne parvinrent pas à
obtenir de lui ce qu’ils désiraient. Durant sa captivité, il a
séjourné dans différentes prisons en Algérie à Serkadji, à El
Harrach et en France à Fresnes et la Santé. Il est élargi,
bénéficiant d’un régime pénitencier plus souple, il est ensuite
transféré au château de Turquant en France. Il rejoint Boudiaf, Ben
Bella, Aït Ahmed et Khider, où ils étaient enfermés ; c’est à la
suite d’une grève de la faim de longue durée que Bitat a obtenu ce
déplacement. Après sa libération le 20 mars 1962, il retrouve la
situation à l’extérieur déplorable due au différend opposant le GPRA
à l’EMG (état- major général de l’ALN). La crise au sein du FLN
partage les antagonistes en deux camps, Bitat a choisi de s’allier
avec Khider, Ben Bella et soutenu par Boumediène le chef
d’état-major contre le GPRA, il fait partie du groupe de Tlemcen le
22 juillet 1962, lors de la constitution du bureau politique, il
figure parmi ses membres, Khider est désigné comme secrétaire
général du FLN, Bitat est chargé de l’organisation, il avait sous sa
tutelle les organisations de masse.
Cohabitation dans la sérénité
Le 27 septembre 1962, Ben Bella forme
le premier gouvernement de l’Algérie indépendante, Bitat est nommé
vice-président ; entre-temps le malaise commence à apparaître et en
mars 1963, c’est le différend entre Khider et Ben Bella. Ce dernier
exige que Khider lui cède le secrétariat du FLN pour une période de
six mois, « c’est un leurre » réplique Bitat, il démissionne de la
vice-présidence du gouvernement en novembre 1963. Il s’attaque à Ben
Bella en le critiquant sur sa manière de s’approprier tous les
leviers de commandes et sa mainmise sur le pouvoir en domestiquant
les organes de l’Etat, et les organisations de masse. L’objectif de
Ben Bella était d’arriver à la présidence de la République. Pour ce
faire, il prépare le 1er Congrès de l’indépendance pour le mois
d’avril 1964 au sein duquel il se présente au poste de secrétaire
général du FLN et se fait élire par le truchement des élections à la
base, c’est-à-dire les congressistes et non par les instances du
parti qui sont le comité central et le bureau politique. De ce fait,
il est le candidat unique à la présidence de la République. Pour ses
prises de position, Bitat est considéré comme opposant. Le 24 juin
1964, la police présidentielle reçoit l’ordre de procéder à son
arrestation. Pour les dépister, sa femme leur avait dit qu’« il
vient de sortir pour se rendre chez Kechida Aïssa », leur donnant
mon adresse. Ce faisant, elle a réussi à le préserver, parce qu’à ce
moment-là, il n’avait pas encore quitté son domicile. Il réussit à
s’enfuir et à sortir du territoire national, de même que son
compagnon Khider Mohamed. Après le coup d’Etat du 19 juin 1965,
Boumediène forme son gouvernement, lui fait appel et le nomme
ministre des Transports, il assure cette gestion de 1972 à 1977. Le
5 mars 1977, il se présente aux législatives, il est plébiscité et
élu président de l’APN où il a assuré trois mandats successifs en
1977, 1982 et 1987. A la mort du président Boumediène, le 28
décembre 1978, la Constitution permet à Bitat d’assurer l’intérim de
la présidence de la République pendant 45 jours. Pendant la période
de cette vacance, il se concerta avec les représentants de l’armée
afin de proposer un candidat aux élections présidentielles, les
prétendants successeurs du défunt étaient engagés dans une lutte
acharnée pour la succession. Pour éviter une autre crise au pays,
les dirigeants l’ont sollicité pour être le candidat à la
Présidence. Bitat refusa cette proposition, ne voulant pas créer un
précédent qu’il juge grave. Durant la gestion de sa magistrature, il
ne voulait pas transgresser la Constitution ; le pays commence à se
construire en jetant les bases d’un Etat et ses institutions, il a
besoin de stabilité et de paix. Quand le choix s’est porté sur
Chadli Bendjedid, Bitat s’est mobilisé pour que la passation de
pouvoir et la cohabitation se fassent dans la sérénité. Au 7e
Congrès des parlementaires africains, tenue du 17 au 21 mars 1984,
il est élu en son sein pour une période de six ans ; il a fait
partie du 72e Congrès de l’Union des parlementaires internationale
(UPI), organisé en Suisse à Genève, il est élu vice-président au
sein de cette institution en septembre 1984, il est aussi membre de
son exécutif en 1986. Durant deux mandatures, les deux premiers
magistrats du pays s’entendaient et travaillaient en parfaite
harmonie. Les hommes de l’ombre s’interposèrent, ils créèrent une
atmosphère invivable pour Bitat. Au cours de son troisième mandat de
1987 à 1992, un point de discorde sur un dossier économique pousse
Bitat à la démission avant le terme de son mandat. Le 3 octobre
1990, il fait une déclaration à la presse dans l’enceinte de
l’Assemblée nationale en annonçant officiellement sa démission. Il
veut rester fidèle à ses principes, ne voulant pas orienter les
débats à l’APN contre son gré, sa conscience ne lui permettait pas
de transgresser les lois du pays et piétiner la Constitution. Bien
entendu, l’effondrement du système politique et économique du bloc
de l’Est laisse les hommes politiques agir avec beaucoup de
prudence. Le courant progressiste n’admettait plus le monopartisme,
ni le monopole de certains dirigeants sur la vie publique. La
démocratie et le multipartisme commencent à faire leur chemin au
regard de la conjoncture internationale. En juin 1999, Bitat part en
mission en tant que chef de délégation, accompagné de Chérif
Messadia pour l’Afrique du Sud pour représenter l’Algérie lors de
l’installation du nouveau président élu Tabo Mbeki, qui a succédé à
Mandella. Messadia se trouvait mal, il a été hospitalisé sur place,
Bitat s’est vu obligé de rester avec lui pour l’assister durant un
mois. A la suite de ce déplacement pour un très long voyage et la
contrainte d’un séjour éprouvant, il rentre à Alger bien fatigué. Il
traîne une faiblesse pendant plusieurs mois, il est évacué sur
l’hôpital Broussais à Paris, il meurt le 9 avril 2000.
Aïssa
Kechida |