La
Wilaya VI après le congrès de la Soummam
Au
déclenchement de la
lutte armée, le 1er novembre 1954, l'Algérie fut découpée en cinq
zones qui devinrent, à la suite du Congrès de la Soummam, des wilayate.
Par décision de ce même Congrès, le Sahara devint une entité portant
l'appellation de wilaya 6 et Si Chérif (Ali Mellali) fut nommé
Colonel, commandant de cette wilaya. Ce dernier, à son retour, avait un
programme bien arrêté, conçu pour donner un nouvel élan à cette
jeune wilaya. Ce programme comportait un certain nombre de priorités
parmi lesquelles figurait le problème des groupes MNA (Messalistes);
les unités de cette formation contre-révolutionnaire éludaient tout
contact avec l'ALN, mais dès que cette dernière avait le dos tourné,
elles se rabattaient sur la population acquise à la cause, effectuant
des pillages et des exactions de tous genres.
Un
des chefs de ces groupes, un certain Abdelhamid, se dressa un jour sur
le toit d'un gourbi et cria à la population terrorisée : "Dieu
est le maître au ciel et moi sur terre". C'était le genre d'écho
désespéré qui parvenait à l'ALN d'une population qui nous était
acquise et qui préférait avoir affaire aux troupes coloniales qu'à
cette espèce d'individus.
Le
colonel Si Chérif réunit le gros de son effectif et l'envoya au Sud
pour y installer les structures ALN et réduire le domaine MNA. Cette
expédition, qui eut lieu fin décembre 1956, se fit avec trois
compagnies composées au total de 375 hommes. L'état-major qui
commandait ce bataillon était composé du commandant Abderrahmane
Djouadi, du capitaine dit "Rouget", du lieutenant Chérif
Bensaïdi.
Dans
sa poursuite des groupes MNA qui fuyaient toujours le contact, ce
bataillon tomba sur les troupes françaises à Had-Essahari à quelques
kilomètres au nord de la ville de Djelfa.
Il
y eut donc un engagement qui se traduisit par trois grands accrochages
étalés sur une période de quatre jours, aux environs
de la mi-janvier
1957. Le bataillon s’en tira avec 84 moudjahidine tombés au champ
d'honneur. Du côté de l'adversaire, les pertes étaient, disait-on, très
élevées. Le bataillon épuisé et à court de munitions put finalement
décrocher le soir du quatrième jour et se replier au Nord vers sa base
d'origine. Il convient de souligner que l'armement dont disposait à
l’époque ce bataillon en particulier, et la wilaya 6 en général, était
pour le moins vétuste et composé en majeure partie de fusils de chasse
à percussion centrale ou à broches.
C'était,
pour ainsi dire, plutôt des reliques dignes d'un musée. En outre, le
terrain sur lequel eurent lieu les trois accrochages n'avait rien d'un
maquis. Les accrochages, très souvent imposés par l'armée française,
n'étaient généralement pas à l'avantage de l'ALN, ni du point de vue
humain, ni du point de vue matériel. Ils avaient toujours lieu dans un
contexte de guerre classique mais à armes et en nombre inégaux.
L'arrivée,
fin 1956-début 1957, de jeunes cadres dont la plupart étaient des lycéens
venus des villes et surtout d'Alger, permit de renflouer les structures
de base, rendant possible la structuration des zones de la wilaya 6
selon une organisation type édictée par le Congrès de la Soummam. Le
colonel Si Chérif confia alors au commandant Abderrahmane Djouadi la tâche
de mettre sur pied la zone I celle de Sour El-Ghozlane, et désigna le
capitaine Rouget à la tête de la zone Il, celle de Ksar El-Boukhari.
Ce dernier arriva début mars 1957 à la zone, accompagné d'une section
(35 hommes environ). C'était d'ailleurs la seule unité armée que nous
avions dans toute la zone deux à l'époque.
Le
capitaine Rouget me fit part, dès son arrivée, que je passais du grade
d'aspirant politique à celui de lieutenant politique et ainsi je me
trouvai dans une position où je devenais son adjoint.
En
cette même période, le colonel Si Chérif ayant été avisé par le
commandement central qu'un lot d'armes qui lui était destiné avait
quitté le Maroc, via la Wilaya V, il réunit alors l’effectif de
trois compagnies pour aller à la rencontre des armes, en wilaya V. Il
attachai un grand intérêt à ces armes qui nous faisaient alors sérieusement
défaut. Aussi il confia chacune des trois compagnies à un officier. Il
chargea le lieutenant Mustapha Ben Amar de la première, le capitaine
Abdelazziz de la seconde et le lieutenant Chérif Bensaidi de la troisième
(en fait, ce dernier était à la tête de la troisième compagnie
depuis plusieurs mois). Vers le début du mois de mars, les trois
compagnies prirent le départ en direction de l'ouest, vers la wilaya V.
Quant au colonel Si chérif, il se mit également en route pour aller à
la rencontre du lieutenant Bakhti, à la frontière de la wilaya V et
faire avec lui le point des armes à réceptionner et fixer les modalités
de leur transfert.
Naissance
d'une dissidence.
Les
trois compagnies avaient, à l'approche de la wilaya V, un obstacle
dangereux à traverser constitué par la région de Djebel Nador. Le
lieutenant Mustapha réussit à faire passer ses djounoud en petits
groupes sans encombre. La deuxième compagnie quant à elle, fut repérée
par l'année française et n'eut d'autres ressources que de subir un
accrochage dans le lieu dit Ennef. Cette compagnie essuya quelques
pertes, parmi lesquelles le capitaine Abdelaziz, tombé au champ
d’honneur. Une partie de cette compagnie réussit à passer l'obstacle
et rejoignit celle du lieutenant Mustapha; le reste des hommes fut
recueilli, en se repliant, par Bensaïdi.
Ce
dernier n'étant pas chaud, dès le début pour se rendre en wilaya V,
saisit l'occasion qu'offrait le malheureux revers essuyé par le capitaine
Abdelaziz et sa compagnie pour envoyer une correspondance au Colonel Si
Chérif lui demandant de le dispenser de ce voyage dont le danger était
évident.
A
cette correspondance, le colonel Si Chérif répondit sévèrement, lui
intimant l'ordre de poursuivre la mission, faute de quoi il prendrait
les mesures qui s’imposent en cas de désobéissance. L'expression
« condamnation à mort" aurait même été mentionnée.
Le
colonel n'arrivait pas à admettre qu'un militaire de métier comme Bensaïdi
puisse se laisser impressionner par un obstacle, quel qu’il fut, alors
que l'enjeu était d'une importance capitale. Face à un tel rappel à
l'ordre, Bensaï s’en fut convaincre les hommes de confiance de sa
compagnie (dirigée par des cadres issus de son douar de Ouled Soltane)
leur affirmant, lettre
à l'appui, que les responsables de la wilaya VI venus pour la plupart
de la wilaya III, étaient mal intentionnés
et qu'ils voulaient leur
mort. C’est ainsi qu'ensemble, ils résolurent d'entrer en dissidence
et de procéder discrètement
et rapidement
à l'élimination physique de tous les membres
de l'état-major de la
wilaya VI.
Mort
du Colonel Ali Mellah
Avant
d’aller plus loin dans la relation des faits, il serait à propos de
souligner que l'attitude adoptée par Bensaidi, apparemment née fâcheux
concours de circonstances, intervenait, comme par hasard à un moment où
la Wilaya VI était en passe de réunir toutes les conditions à même
de lui permettre de sortir du stade embryonnaire et devenir plus opérationnelle.
Le
colonel Si Chérif, qui arriva en ce temps-là à la régi Derrag, ex-Letourneau,
n'était accompagné que de son secrétaire Moussa et d'un agent de
liaison, un certain Mellal Ali. Ainsi, la tâche des dissidents allait
s'en trouver facilitée. En effet, au crépuscule du 31 mars 1957, le
colonel Si Chérif ainsi que deux compagnons allaient être les premières
victimes d'une conspiration qui s’avéra
longue.
Aux
habitants du douar Haidouria, dans le Djebel Chaour Saidi fera croire
qu'il n'avait fait qu'exécuter des harkis. El Abdelkader, un
responsable civil du douar, qui nous fit plus tard le récit de la tragédie,
crut en la version présentée par Bensaïd, réunit la nuit suivante
cinq personnes de sa tribu et ils procédèrent à l'inhumation des
victimes dans un endroit retiré, le lit d'un oued, de peur que l'armée
française ne découvrit leurs tombes et ne fasse payer cher à la
population les trois exécutions.
Le
2 ou le 3 avril 1957, qui correspondait au deuxième troisième jour du
mois de Ramadhan (le
peremier jour du Ramadha était le 1er avril), Bensaïdi
arriva au douar Ouled-Hellal avec ses hommes dispersés. Ce qui est
toujours le cas à la suite d'une action: les hommes d'une unité se
repliaient dispersés après avoir convenu d'un point de ralliement pour
rendre difficile une éventuelle poursuite. Bensaïdi avait, pour la
forme, tendu en chemin
une embuscade, sur la route Trolard-Taza (Bordj Emir Ahdelkader) à un
petit convoi français.
En
attendant les hommes de sa compagnie qui continuaient à arriver
individuellement ou par petits groupes, Bensaïdi nous relata les faits
de l'embuscade. Vers la fin de l’après-midi, un djoundi fit irruption
dans la pièce où nous étions et tendit une lettre à Bensaïdi.
Celui-ci l'ouvrit et la lut puis la tendit au capitaine Rouget. Ils étaient
tous deux convoqués au PC de la Wilaya où, selon la lettre, le colonel
Si chérif les attendait dans la soirée.
La
dissidence en action
La
convocation au PC n'était, en fait, qu'un simulacre mis au point par
Bensaïdi pour attirer le capitaine Rouget loin de sa section de
protection. Celui-ci, très méfiant de nature et soupçonneux au point
qu'il tenait, toujours et en toutes circonstances, son pistolet à la
main (balle engagée au canon), ne réagit même pas ce jour-là au fait
que le messager ait remis la convocation au lieutenant Bensaïdi. Qui
aurait pu s'attarder à de pareils détails et supposer un instant que
quelque chose se tramait derrière cette mise en scène parfaitement
orchestrée?
Après
la rupture du jeûne, les deux hommes enfourchèrent deux chevaux et
partirent en direction du PC. Ils connaissaient tous deux le chemin et
n'avaient, de ce fait, pas besoin de guide. Au lieu-dit Kermat Chiha, à
mi-chemin, les hommes de Bensaïdi qui étaient embusqués ouvrirent le
feu à l'approche des deux cavaliers. Le capitaine fut tué sur le coup,
le lieutenant Bensaïdi s'en tira avec une balle au bras droit.
A
son arrivée au PC, Bensaïdi fera croire qu'ils étaient tombés dans
une embuscade tendue par les Français. Toutefois, sa besogne ne
semblait pas achevée; pressé qu'il était d'en finir, il refusa les
soins que voulait lui prodiguer le docteur Salim Khodjat El Djeld. Il préférait
repartir aussitôt.
Les
frères au PC, en l'occurrence Mégateli et le docteur Salim crurent
Bensaïdi; ils n'avaient
pas de raison de douter du récit. C’est en zone une (Sour El Ghozlane)
que Bensaïdi et ses hommes allaient réaliser le plus gros de la tâche
qu'ils s’étaient assignée. Ils devaient faire très vite pour prévenir
toute réaction.
En
zone une, après avoir 1iquidé le commandant Abderrahmane Djouadi et
quelques cadres de le zone, Bensaïdi passa aux simples djounoud. En
moins d'un mois, il fit exécuter près de trois cents moudjahid et se
proclama colonel, commandant la wilaya VI.
Il
convient de souligner que la majeure partie des djounoud de sa compagnie
ignorait tout du déroulement de cette entreprise, tant le secret était
bien gardé.
Le
fait d'être connu sous le nom, lui aussi de « Si chérif »
lui rendit la tache facile pour la substitution puisque c’était le
pseudonyme que portait le colonel défunt. Un colonel Si Chérif était
donc toujours en place: nombreux étaient alors ceux qui ne faisaient
pas la différence.
Bensaïdi
s'était surtout attaqué aux moudjahidine originaires de la wilaya III.
Ensuite, il propagea une rumeur selon laquelle les wilaya III et IV étaient
entrées en affrontement armé. A l'époque, il était difficile de
s'assurer à temps de la véracité de ces rumeurs, à tel point que, du
fait de l’intox, la
population et même des djounoud se trouvèrent alors totalement désemparés.
Premières
réactions face à la dissidence
Ce
n'est que par un civil, Abderrezak Boukhari, que je pus avoir vent de
ces rumeurs. C'était pendant les dix premiers jours du mois d'avril. Je
me précipitai au PC de la wilaya VI qui se trouvait à trois ou quatre
heures de marche. Abderrahmane Megateli, alors secrétaire de la wilaya,
n'était pas encore au courant de la situation; jusque-là tout semblait
se dérouler pour lui normalement à l'exception du fait que le colonel
Si Chérif (Mellah Ali) n'avait pas donné signe de vie depuis près de
dix jours, ce qui n'était pas dans ses habitudes; il avait pour
principe d'envoyer au PC un messager au moins tous les trois ou quatre
jours.
A
partir de là, tous les événements passés prirent une signification
autre: la mort du capitaine Rouget, la blessure de Bensaïdi et sa hâte
de quitter le PC, les bribes d'informations qui circulaient, permirent
de faire le recoupement. L'évidence d'un complot devenait alors plus
claire.
Ayant
passé au crible la situation et fait le bilan des moyens dont nous
disposions, nous convînmes, Megateli et moi, d'un petit plan
d’action: lui devait se rendre au PC de la Wilaya IV situé à environ
deux jours de marche de là afin de les informer et demander leur
assistance, tandis que moi, je retournais en zone Il pour essayer de
limiter les dégâts.
Je
disposais de très peu de moyens pour faire face à la situation. Je
devais me contenter de quelques cadres et, éventuellement, de la
section de protection du capitaine Rouget qui était restée sur place
attendant le retour de celui-ci. Comme ce dernier avait tardé à donner
rie de vie, Si Rezki, le chef de section, ayant flairé peut-être le
coup fourré, commença à donner des signes d'inquiétude et manifesta
le désir d'aller à sa recherche. Il était sous les ordres directs du
capitaine et n’avait, de ce fait, pas de comptes à me rendre: par
respect, il vint quand même demander ma permission. Ne pouvant pas la
lui refuser, je le fis patienter. Nous avions grand besoin de l'appui
que pouvait nous apporter sa section. En outre, partir ainsi équivalait
à se jeter dans la gueule du loup. Cependant, la nuit tombée, il réussit
à tromper ma vigilance et à s'en aller avec sa section. Depuis, je
n'eus plus de ses nouvelles.
Je
me suis reproché par la suite de ne l'avoir pas mis au courant de la réalité;
après réflexion, et le connaissant assez bien, j'en suis arrivé à la
conclusion que, bien qu'étant un brave garçon et bon baroudeur, il
n’avait pas les moyens d'appréhender la situation, d'en saisir les
proportions et de réagir rationnellement. Il serait quand même parti.
Il était un homme à impulsions irraisonnées et imprévisibles.
Il
ne me restait donc que quelques cadres. La Wilaya 4 mit plus d’un mois
pour intervenir. Pendant ce temps qui nous parut interminable, nous eûmes
l'impression d'être sur un bateau sans gouvernail, en pleine tempête.
Il fallait improviser.
Comme
j'avais sous la main Si Ahmed, l'agent de liaison avec Alger, je pris la
décision de préparer un rapport circonstancié de la situation et de
le faire parvenir au CCE. J'étais loin de me douter que la situation à
Alger n'était guère plus brillante et que le CCE avait quitté la
capitale.
Ce
que je ne pouvais pas non plus prévoir, c'était que l'agent de liaison
en question avait été acquis à la cause de Bensaïdi. Si Ahmed,
l'agent de liaison, prit la lettre et la déchira en cours de route. Le
plus extraordinaire, ce fut que deux ou trois jours plus tard, au cours
d’un déplacement, ayant décidé de m'arrêter pour prendre un peu de
repos, je m'assis sur un rocher au pied duquel mon attention fut attiré
par des bouts de papier. J'en pris quelques- uns par curiosité; grande
fut ma surprise de constater qu'il s'agissait de ma lettre que je
croyais arrivée à bon port.
Aussi
invraisemblable que cela puisse paraître, j'avais, heureux hasard, fait
halte au même endroit qu'avait choisi avant moi mon messager (...)
L'intervention
de la Wilaya 4
En
mai 1957, la
wilaya IV finit par intervenir en zone I. Le Colonel M'hamed Bougara,
Chef de la dite Wilaya, assisté par le commandant Lakhdar et le
capitaine Azzedine, à la tête du commando "Ali
kKodja" accula
Bensaïdi à accepter la confrontation en présence de nombreux chefs de
tribus et notables de la région. Bensaïdi nia alors avoir été
l'auteur de l'assassinat du colonel Si Chérif. Il reconnut cependant
avoir ordonné l'exécution de quelques responsables de la wilaya VI
justifiant ses actes par l'énumération de certains faits qui,
d'ailleurs, étaient exacts.
Le
colonel Bougara qui n'avait pas encore une idée de l'ampleur de la
liste des victimes et préoccupé en premier chef par la récupération
de la zone une et des populations de la région qui avaient été
induites en erreur par Bensaïdi, essaya de mettre celui-ci en
confiance. Bensaïdi, voyant que la situation lui échappait des mains
et n'étant pas tou à fait rassuré, mit à profit une pause, entre
deux séances de la réunion, pour fuir avec ses hommes de confiance. Il
s'en fut rejoindre l’armée française plus tard et fut confirmé dans
son grade usurpé de colonel. Placé à la tête des harkis,
il servit l'armée française
avec zèle jusqu'à l'indépendance. Il aurait même été promu au
grade général, lorsque les Français voulurent, au cessez-le-feu en
1962, rééditer l'hypothèse de la "troisiême
forc ».
Bensaïdi
allait ainsi, après avoir agi de la sorte, nous facilitait la tâche.
Cela était d'autant plus soulageant que sa réhabilitation aurait posé
de sérieux problèmes vu le nombre de ses victimes. Le juger et le
condamner aurait été assimilé à un acte de vengeance de ceux aux
yeux desquels il passait pour être un redresseur parmi ses proches. En
rejoignant l'armée française, il se dénonça lui-même et fut condamné
à l'unanimité.
Pour
illustrer la situation qui avait prévalu avant que les événements ne
prennent cette tournure, il convient de brosser un tableau de la wilaya
VI à ses débuts qui n'étaient guère brillants.
Le
peu de cadres dont disposait le colonel Si Chérif fit que ce dernier
recourut aux deux wilayas voisines en quête d'éléments pour étoffer
ses effectifs. Beaucoup de cadres et de djounoud des wilayas III et IV
en wilaya VI l'étaient par punition, ce qui faisait de cette wilaya une
sorte de région disciplinaire vers laquelle étaient envoyées toutes
les têtes brûlées. Le colonel Si Chérif acceptait les arrivés, leur
accordant ainsi une chance de se racheter. Toujours est-il que nombre
d'entre eux demeurèrent ancrés dans leurs défauts. Il y eut même
certains responsables qui, comprenant mal leur mission de révolutionnaires,
se comportèrent comme en terre conquise, d'une population fortement
attachée aux principes de l'Islam, à cheval sur les traditions et la
morale.
Deux
ou trois responsables eurent un comportement féodal et s’embourbèrent
dans des problèmes de moeurs, d’exécutions et de punitions
arbitraires, créant ainsi une sorte de malaise. Le colonel fit, peut-être,
preuve de manque de fermeté, non pas par faiblesse mais du fait qu'il
attendait d'avoir suffisamment d'éléments de remplacement et de réunir
un certain nombre de conditions pour rétablir la situation et prendre
les mesures qui s'imposaient. Pour ce faire, il semblait compter
beaucoup sur l'éventuelle récupération des maquis de l'Atlas Saharien
qui jusque-là échappaient à son contrôle.
(…)
L'acte de Bensaïdi, bien que répréhensible, aurait eu des circonstances
atténuantes s'il s'en était pris uniquement aux responsables du
malaise. Toutefois, Bensaïdi semble avoir exploité une situation pour
justifier son acte et aboutir à ses fins. Parce que deux ou trois personnes
responsables du malaise étaient originaires de la wilaya III, il mit
tout le monde dans le même sac n'épargnant ni le colonel dont l'intégrité
était notoire, ni le simple djoundi qui n'avait non plus rien à se reprocher.
Quoiqu'il
en soit et quelle que fût la situation, Bensaïdi n'avait pas le droit
de se dresser en justicier et encore moins de donner la mort à près de
trois cents personnes. Cela ne pouvait être qu'un traître coup porté
à la wilaya VI et par conséquent à la Révolution. Le caractère régionaliste
que Bensaïdi donna à sa machination était de nature à porter
atteinte à la cohésion de l'ALN et à l'unité du Peuple Algérien.
Portrait
du dissident Bensaïdi
Bensaïdi
était originaire de Ouled Soltane, commune de Souagui, à mi-chemin
entre Ksar El-Boukhari et Sour El-Ghouzelane. Engagé dans l'armée française
depuis 1948, il participa à la guerre d'Indochine. En 1956, il vint
passer auprès de sa famille une permission de détente. Etant
sous-officier, il ne manqua pas d'attirer l'attention de Si Chérif qui
était alors à la tête de quelques formations ALN qui avaient investi
la région; l'ALN ayant toujours cherché à récupérer les Algériens
justifiant d'une formation militaire, trouva en Bensaïdi le profil
souhaitable. Il fut donc recruté et placé à la tête d'un groupe de
moussebels (suppléants), dans un premier stade, ensuite enrôlé dans
les rangs de l'ALN. Il ne mit pas longtemps à gravir les échelons et
devint lieutenant militaire placé à la tête d'une compagnie faisant
office de commando. Un commando était de surcroît une école militaire
ambulante, formant des cadres appelés à coiffer d'autres unités régionales.
Sans
haine ni passion , Editions Dahlab |